Quand Léo Simard braquait une banque, il se sentait tout-puissant.

Il portait une cagoule et des gants, il prenait le gérant en otage et il vidait la voûte. «Tu es sur un high. Tu perds le contrôle de ta vie pendant des années, mais là, tu es armé et c'est toi qui as le contrôle.»

Ses vols rapportaient gros: de 150 000$ à 200 000$. «J'avais de l'argent, pis ça me montait à la tête.»

En 1970, il a été condamné à 50 ans de prison. Il avait 19 ans. Date de sa libération: 2020. Il s'est évadé une «couple de fois». «Quand je sortais, j'avais pas d'argent, alors je volais des banques, je me faisais prendre, pis je retournais en dedans.»

 

L'année dernière, il a été libéré. Pour de bon, croit-il. Il n'est plus le jeune baveux qui braquait des banques, revolver au poing. Il a vieilli, son corps s'est tassé, ses cheveux ont grisonné. Il a 58 ans, bientôt 59.

Au début des années 90, pendant une brève période de liberté, il a reçu neuf balles de mitraillette dans le corps. Quelques années plus tard, il a consommé de l'héroïne.

«J'ai eu une greffe osseuse», explique-t-il en montrant la cicatrice qui court le long de sa jambe.

Il a une artère bloquée et il a fait un anévrisme. Sa santé est fragile. À sa sortie de prison, il a passé quelques mois dans une maison de transition. Aujourd'hui, il vit chez Léo's Boy, une maison de chambre du quartier Saint-Henri, à Montréal.

Des tatouages couvrent son corps trapu. Boucle d'oreille, vieux t-shirt, short, savates. «À ma sortie de prison, j'avais trouvé du travail dans une cordonnerie, mais j'ai été obligé de lâcher. J'étais incapable de passer la journée debout.»

Il vient d'une famille modeste de Trois-Rivières. Le père ouvrier, la mère au foyer. Six frères, une soeur.

Son père voulait qu'il devienne notaire, mais il caressait d'autres rêves: devenir riche, très riche. Vite, très vite.

«Je voulais pas passer ma vie comme mon père à compter mes cennes.»

Il soupire. «À 30 ans, je voulais devenir millionnaire. Je vais avoir 59 ans, je suis malade, sur le BS. Et j'ai passé 30 ans de ma vie dans une cage.»

Il vit dans sa chambre. Il y passe le plus clair de son temps. Sa nouvelle cellule. Un jour, il devra quitter Léo's Boys pour laisser la place à d'autres ex-détenus. Il n'ose pas trop y penser.

«À force de faire du temps en dedans, pis de perdre ta vie... Câlisse, qu'est-ce que je vais faire? Je suis vieux, je n'ai plus d'amis, mes parents et mon frère aîné sont morts, les autres ont leur vie.»

Il n'a ni femme ni enfant. Ses rêves ont rapetissé. Il a renoncé depuis longtemps aux restaurants et aux bons vins.

Une chose est certaine, il ne veut plus jamais retourner en prison. «Je n'ai plus la santé pour faire des hold-up, ajoute-t-il d'un ton amer. Je n'ai plus les nerfs ni le guts. Tu vieillis, tu penses à tes petits bobos et tu te surprends à rêver d'une vie tranquille.»