L'ancien directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, s'est servi d'un contact dans la pègre pour retrouver rapidement un yacht flambant neuf de 72 000$ qu'il s'était fait voler.

Un jugement rendu par la Cour supérieure en 2004, dont La Presse a pris connaissance, montre de nouveau les liens étroits qu'entretenait le puissant syndicaliste de l'industrie de la construction avec le milieu criminel.

 

Le plus ironique, à la lecture du document judiciaire, est de constater que c'est le vice-président de la société de location de grues Guay, Louis-Pierre Lafortune, également très influent dans le domaine de la construction, qui, à son corps défendant, permet aujourd'hui de lever le voile sur cette autre troublante relation de Jocelyn Dupuis.

Passée inaperçue à l'époque, l'affaire s'est jouée le 9 décembre 2004, quand Louis-Pierre Lafortune a témoigné à l'enquête sur cautionnement de Marc Bourgouin, accusé de trafic de 3kg de cocaïne.

À la surprise du juge, le dirigeant de Guay avait déclaré qu'il ne connaissait pas Bourgouin, mais qu'il venait plaider en sa faveur «à la demande de Jocelyn Dupuis, directeur de la FTQ-Construction et ami personnel». En échange de la libération de Bourgouin, Lafortune était prêt à verser une caution de 10 000$. Il s'engageait également à lui fournir un emploi d'apprenti grutier au salaire de 25$ l'heure.

Dans son jugement de trois pages, le juge relate ainsi les propos de Lafortune: «Dupuis avait connu le prévenu dans des circonstances loufoques: il s'est fait voler son bateau neuf de 72 000$ plus taxes à la marina de Repentigny, et il a fait appel à ses contacts dans le milieu criminel pour récupérer le bateau.» Le luxueux yacht que Dupuis venait tout juste d'acheter, et qu'il avait négligé d'assurer, avait été retrouvé à Pointe-Calumet 24 heures plus tard.

«L'accusé a d'ailleurs par sa feuille de route des contacts bien établis dans le petit monde des voleurs et receleurs», a noté le juge Paul, qui énumère certaines des condamnations antérieures de Bourgouin dont l'une remonte à 1993. Au passage, le juge a aussi souligné que Bourgouin, 32 ans, sortait à peine de prison pour son rôle de premier plan dans un réseau qui se spécialisait dans le vol et le découpage de fourgonnettes de luxe. Redoutant qu'il soit armé, la police de Laval avait demandé l'aide de l'escouade tactique (SWAT) de la Sûreté du Québec afin de l'arrêter.

Une carte d'apprenti grutier

Bien que Bourgouin ait affirmé n'avoir rien reçu pour avoir aidé Dupuis à retrouver son bateau - il a simplement exhorté Dupuis à ne rien dire à la police! -, le juge Paul n'en croit pas moins que «l'offre d'une carte d'apprenti grutier, pour que l'accusé reçoive une formation chez grues Guay semble, de prime abord, une rémunération indirecte pour le service rendu par Bourgouin». Par contre, ajoute le juge, Lafortune, toujours à la demande de Dupuis, aurait payé «certains frais» à l'avocat qui défendait Bourgouin.

De l'avis du juge, Bourgouin est loin d'être du «menu fretin», selon l'expression consacrée. «Pouvoir dans un délai de quatre jours conclure une transaction de cette importance (3 kg de cocaïne) avec le concours de présumés complices indique qu'il s'agit de professionnels oeuvrant dans le domaine du trafic de stupéfiants», a-t-il conclu, tout en ordonnant le maintien en détention de Bourgouin. Le 13 avril 2005, ce dernier a plaidé coupable devant le juge Jean B. Falardeau, de la Cour du Québec. Il a écopé de trois ans de pénitencier.

À l'automne 2008, Jocelyn Dupuis a été poussé à la porte de la FTQ-Construction en raison de ses relations présumées avec le Hells Angel Normand Ouimet, qui lui avait été présenté par Louis-Pierre Lafortune. Éclaboussé par cette affaire et par le scandale des dépenses exorbitantes que Dupuis s'était fait rembourser par le syndicat, le président de la FTQ-Construction, Jean Lavallée, est lui aussi parti. Depuis que la Sûreté du Québec a mis le nez dans le dossier de la construction, le siège social de la centrale syndicale a reçu deux fois la visite des enquêteurs le printemps dernier.

À la mi-septembre, les policiers ont notamment arrêté six personnes soupçonnées d'avoir aidé Normand Ouimet et un autre Hells Angel, Martin Robert, à blanchir des millions de narcodollars. Il y a eu des perquisitions dans des entreprises de construction, et des comptes en banque ont été bloqués. Les accusés ont pu recouvrer la liberté la journée même de leur comparution au palais de justice de Laval. En échange, ils ont dû verser d'importantes cautions. Dans les cas de Michel Sainte-Marie, 64 ans, et Richard Felx, 51 ans, on parle de dépôts de 60 000$ et 35 000$.

- Avec la collaboration de Francis Vailles