Quand il a vu l'évêque d'Antigonish, Raymond Lahey, s'excuser au nom de l'Église auprès des victimes d'agressions sexuelles de son diocèse, l'avocat John McKiggan était convaincu qu'il avait devant lui un homme droit et courageux.

Ce juriste d'Halifax a mené de nombreux recours collectifs contre des membres du clergé dans des causes de ce genre. Chaque fois, l'Église s'est battue bec et ongles pour préserver sa réputation. Mais le 7 août dernier, Raymond Lahey a accepté non seulement de reconnaître les fautes commises, mais aussi de dédommager les victimes.

 

Pour John McKiggan, qui représentait les victimes d'Antigonish, l'événement était historique. «C'était un incroyable changement de cap. Je voyais l'évêque Lahey comme un homme qui essaie d'agir correctement, et n'hésite pas pour cela à se dresser contre les autres membres du clergé», dit-il.

John McKiggan est tombé de haut, cette semaine, quand il a appris que le même Raymond Lahey était accusé de possession de pornographie juvénile. Ces faits ne correspondaient pas du tout à l'image de l'homme qu'il avait vu demander pardon pour les fautes de l'Église, à peine six semaines plus tôt.

En 20 ans de pratique, John McKiggan a représenté des centaines de victimes d'agression sexuelle. «Quand les agresseurs étaient des hommes du clergé, ils appartenaient dans 75% des cas à l'Église catholique», a-t-il constaté au fil des ans.

Les prêtres catholiques ne sont pas les seuls à s'être trouvés mêlés à des scandales sexuels. Il y en a eu aussi chez les anglicans, ou encore chez les baptistes. Mais John McKiggan est convaincu que la hiérarchie propre à l'Église catholique crée un climat favorable aux abus.

«Chez les catholiques, il y a un incroyable respect pour l'autorité du prêtre», note-t-il.

Des prêtres immatures

C'est aussi ce que remarque l'aumônier américain Thomas Doyle dans un long article paru il y a six ans dans la revue Pastoral Psychology. L'auteur y rappelle qu'en une quinzaine d'années, l'Église catholique américaine a été éclaboussée par quelque 1800 poursuites pour des agressions sexuelles. Et il n'est pas tendre pour la réaction des autorités cléricales, qui ont toujours tout fait pour nier ces allégations, ou encore les minimiser.

La hiérarchie propre à une Église extrêmement centralisée crée un terreau propice à des relations abusives, et aussi à la loi du silence, écrit Thomas Doyle.

L'autre facteur qui ouvre la voie à des relations sexuellement abusives est d'ordre individuel: un grand nombre de prêtres catholiques souffrent de déficiences psychologiques, soutient l'aumônier. Il cite des études selon lesquelles 66% des prêtres catholiques aux États-Unis sont immatures sur le plan émotionnel. Principale manifestation de cette immaturité: «La difficulté à établir des relations interpersonnelles et une incapacité à intégrer leur identité psychosexuelle.»

«Les prêtres immatures sont plus à l'aise avec des adolescents, ont peu d'amis de leur âge et parviennent assez bien à camoufler ces déficiences en les rationalisant», écrit Thomas Doyle.

Et ce sont peut-être justement ces faiblesses qui poussent certains jeunes hommes à se tourner vers la prêtrise, avance Hubert Van Gijseghem, expert psycho-légal québécois qui a rencontré des dizaines de prêtres accusés d'agressions sexuelles ou de pédophilie.

«Quand un jeune homme se sent aux prises avec une sexualité trouble qu'il n'accepte pas, il peut se sentir attiré par le célibat idéalisé des prêtres», dit-il.

Mais il arrive que leurs désirs les rattrapent au tournant. «Après quelques années, la sexualité peut venir chercher son dû, et ces hommes peuvent tomber en amour avec des jeunes», constate Hubert Van Gijseghem.

Autrement dit, ce n'est pas la chasteté qui pousse les prêtres catholiques à vivre leurs pulsions avec des enfants qui leur sont subordonnés, comme on pourrait l'imaginer. Mais bien ces pulsions qui poussent des jeunes hommes troublés à épouser la prêtrise.