Faut-il être croyant pour pardonner?

« Non, répond Arlène Gaudreault, criminologue et présidente de l'Association Plaidoyer victimes. Ceux qui pardonnent ont des valeurs spirituelles fortes : bonté, respect, dignité. Ils pardonnent pour ne pas rester avec quelque chose de malsain. Le pardon, par contre, est très rare.» En 2003, Mme Gaudreault a réalisé 19 entrevues avec des victimes de voies de fait, d'inceste et d'agressions. Toutes, ou presque, ont rejeté l'idée du pardon. Les blessures sont trop profondes, la colère trop forte, les fantasmes de vengeance trop envahissants. «Il ne faut pas imposer le pardon aux victimes, prévient-elle. Et le pardon n'est pas nécessairement une condition de guérison.» Le pardon est loin de faire l'unanimité. Lorsqu'elle montre le film de Denis Boivin à ses étudiants, ils sont choqués. «Ils trouvent que les victimes sont naïves et qu'elles se font avoir», dit Mme Gaudreault.

 

Jerzy Sredzinski aimerait tourner un documentaire sur le pardon. Polonais d'origine, il vit en France. Il a vu le film de Denis Boivin. Une question le hantait depuis quelques années: «Quelle est l'exigence la plus extrême que l'on puisse imposer à un être humain?» Il pensait connaître la réponse: «Demander à une mère de pardonner au meurtrier de son fils.» L'idée du film faisait tranquillement son chemin lorsque sa soeur a été assassinée. Un meurtre sordide : un voisin l'a frappée à la tête, puis il a mis le feu à son appartement. «J'ai été confronté à ma propre question», raconte-t-il. M. Sredzinski vit en banlieue de Paris. C'est là que je l'ai joint. Il songe au pardon, mais il veut d'abord rencontrer le meurtrier de sa soeur, qui a été condamné à cinq ans de prison. Il l'a contacté par le truchement d'un organisme. «Le pardon, c'est la chose la plus difficile à faire, affirme M. Sredzinski. L'élan naturel nous mène vers la punition, la vengeance.» Il ne pense pas qu'il faille être croyant pour pardonner. «Je suis croyant, dit-il, mais ma démarche n'a pas de connotation religieuse. Je cherche des valeurs universelles, je ne veux pas m'enfermer dans le christianisme. Ce meurtre m'a fait beaucoup souffrir. Je dois faire un effort infini pour arriver au pardon.» Il tient toujours à réaliser son film.

Jerzy Sredzinski, les Dupont. Trois victimes indirectes, deux formes de pardon. L'un basé sur la foi, l'autre sur des valeurs universelles. La question reste entière: le pardon est-il une forme de manipulation de l'âme, un trip religieux ou un geste de pure bonté?