«Si les trois garçons avaient eu la même nationalité et la même croyance, cette cause ne se serait pas retrouvée devant le tribunal.»

Le juge Gilles Ouellet a tenu ces propos sans équivoque cet après-midi en acquittant un adolescent sikh de deux des trois accusations de voie de fait armé portées contre lui en chambre de la jeunesse de la Cour du Québec à Montréal. L'adolescent de 13 ans était accusé d'avoir agressé avec son kirpan et une aiguille à cheveux des jumeaux, élèves à la même école que lui à LaSalle. Le magistrat l'a acquitté de l'agression au kirpan, au grand soulagement de ses proches et de l'ensemble de la communauté sikhe montréalaise. Le kirpan est un couteau considéré comme un objet religieux chez les sikhs.

Les faits remontent à septembre 2008. Durant la période du dîner, les jumeaux, souffre-douleur de leur école en raison d'un retard de croissance, marchent derrière trois autres élèves, dont l'accusé. Ces derniers sont mécontents d'être suivis. Le jeune sikh aurait alors sorti son kirpan pour menacer l'un des jumeaux, selon le témoignage de la victime. La victime a allégué avoir eu une marque ou une bosse à la suite de la querelle, sans jamais être en mesure d'en faire la preuve. Le juge a noté des «imprécisions et des contradictions» dans son témoignage. Il a plutôt cru l'accusé, témoin «clair et cohérent», qui a affirmé qu'il n'a pas frappé le jumeau ni même sorti son kirpan, bien emballé dans un linge avec des élastiques.

L'accusé a toutefois reconnu avoir invectivé les jumeaux et avoir sorti son aiguille pour replacer ses cheveux (les sikhs ne se coupent pas les cheveux et les rentrent dans leur turban à l'aide d'une aiguille). Ici, le juge a conclu à une voie de fait armée puisqu'en pleine confrontation, c'était un «moment fort peu approprié pour sortir une aiguille». «Il ne s'agit pas de l'agression la plus grave qu'on ait vue, au contraire», a tenu à préciser le magistrat.

Me Julius Grey était l'avocat du jeune sikh. Me Grey a défendu le port du kirpan à l'école et a obtenu gain de cause en Cour suprême, en 2006. «Le juge m'a donné raison en disant que cette affaire n'avait rien à voir avec le kirpan; que la médiation aurait été la meilleure solution et que l'affaire ne se serait pas rendue là s'il s'agissait de jeunes de même religion, du même milieu», s'est réjoui l'avocat de défense.

Malgré cette condamnation sur un chef, le magistrat a accordé au jeune sikh une absolution inconditionnelle. L'adolescent est donc libre sans aucune condition à respecter. La Couronne, représentée par Me Sylvie Lemieux, avait plutôt suggéré qu'il soit interdit à l'accusé d'entrer en contact avec les jumeaux pendant un an.

La Couronne songe à interjeter appel. L'avocate du ministère public estime que le message envoyé aux victimes n'est pas le bon. «Un jeune est reconnu coupable d'une agression, mais il peut continuer à fréquenter la même école que les victimes, comme s'il ne s'était rien passé», déplore-t-elle. Me Lemieux est aussi en désaccord avec le commentaire du juge sur la nationalité et la croyance de l'accusé qui auraient influencé la cause. «Les victimes ne pouvaient même pas dire de quelle nationalité était l'accusé. Ça n'a aucun rapport», a-t-elle répliqué à sa sortie de la salle d'audience.

Selon le juge Ouellet, «trop d'importance a été donnée à cette affaire», bien que ce dernier n'adresse pas de blâme au ministère public pour avoir porté des accusations contre l'adolescent.