Deux des cinq jeunes témoins de la mort de Fredy Villanueva, abattu lors d'une opération policière à Montréal-Nord en août dernier, ont été arrêtés deux mois plus tard en possession d'une arme à feu semi-automatique. Au moment de leur arrestation, l'un deux a fait référence à l'agent Jean-Loup Lapointe, le policier qui a tiré sur Fredy Villanueva.

Cette information révélée par un inspecteur de la police de Montréal, hier, a contribué à convaincre le juge Robert Sansfaçon d'interdire désormais la diffusion d'images des deux policiers impliqués dans le décès du jeune Villanueva. Le juge Sansfaçon, coroner ad hoc de l'enquête publique, y voit une «menace à peine subtile» qui démontre un «risque sérieux» pour la sécurité des deux policiers.

 

Le juge Sansfaçon a ainsi donné raison, hier, aux deux avocats des policiers qui réclamaient une ordonnance de non-publication en prévision de l'enquête publique. Me Pierre Dupras et Me Gérald Soulière ont plaidé que leurs clients craignaient des «représailles et de l'intimidation» si leur physionomie, leurs coordonnées ou leur milieu de vie étaient révélés au public. Les médias pourront tout de même continuer à nommer les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte.

Pour préciser ces risques, l'adjoint au chef de la division du renseignement du SPVM, Richard Dupuis, est venu témoigner, hier, d'une dizaine d'actes d'intimidation dont ont été victimes des policiers qui travaillent dans Montréal-Nord commis par des gens reliés aux gangs de rue depuis 2006.

Dans le cadre de ce témoignage, l'inspecteur Dupuis a révélé qu'Anthony Yerwood Clavasquin et Jonathan Sénatus ont été arrêtés dans un logement de Montréal-Nord en possession d'une arme semi-automatique le 5 octobre dernier. L'un d'eux, cousin de Fredy Villanueva, a mentionné le nom «Lapointe» en faisant un sourire aux policiers présents. Tous deux ont été accusés de possession d'arme à feu prohibée et ont été remis en liberté en attendant la suite du processus judiciaire. Ces deux jeunes ont été témoins de l'opération policière du 9 août dernier et seront obligés de témoigner lors de l'enquête publique.

L'inspecteur Dupuis a aussi parlé des affiches sur lesquelles on pouvait voir la photo de l'agent Lapointe avec la mention «flic assassin» qui ont été placardés à Montréal en février dernier par un groupe opposé à la brutalité policière, en même que devait débuter l'enquête publique.

Plusieurs médias québécois, dont La Presse, avaient mandaté des avocats pour s'opposer à cette requête d'ordonnance de non-publication, invoquant le droit du public à l'information. La Ligue des droits et liberté du Québec s'y opposait aussi pour éviter que certains témoins aient un «traitement privilégié» par rapport à d'autres. Or le juge Sansfaçon a jugé que «l'effet bénéfique pour la vie et la sécurité des témoins est plus important que l'effet préjudiciable à la liberté de la presse».

Par ailleurs, les membres de la famille Villanueva et les autres personnes qui étaient présentes lors de l'intervention policière du 9 août 2008, ont réitéré, hier, qu'ils boycotteraient les travaux du coroner. Ils respecteront toutefois les citations à comparaître qu'ils ont reçues. Ils se présenteront donc en cour uniquement pour leur témoignage.

«Je ne pense pas que la justice existe au Québec», a dit Patricia, soeur de Fredy Villanueva, en sortant de la salle de cour du palais de justice de Montréal où se tenait l'audition de la requête des policiers. S'exprimant au nom du groupe, Patricia s'est dite mécontente du fait que le juge Sansfaçon, ait refusé pour l'instant d'indiquer s'il entendait aborder la question du profilage racial chez les policiers du SPVM. Le coroner n'a pas exclu d'explorer cette piste, mais il veut d'abord entendre les faits entourant la mort du jeune Fredy.

Autre affirmation du coroner qui a déplu aux Villanueva: rien dans la loi qui le régit ne lui permet d'ordonner que les frais d'avocat des témoins soient payés par l'État. La famille Villanueva et les cinq jeunes témoins du décès réclament depuis plusieurs mois le droit d'avoir des moyens égaux à ceux des policiers dont les honoraires d'avocats sont payés avec des fonds publics. L'enquête publique du coroner débutera le 25 mai.