Dans le cadre de l'enquête qu'elle mène depuis deux ans sur les liens entre le crime organisé, les Hells Angels et l'industrie de la construction, la Sûreté du Québec a mené hier une vaste opération de perquisitions chez une dizaine d'entrepreneurs au Québec.

Le Fonds de solidarité de la FTQ a aussi eu la visite des enquêteurs de «l'escouade de la criminalité fiscale organisée», qui étaient déjà passés, il y a deux semaines, au siège social de la FTQ-Construction.

 

«S'ils peuvent nettoyer notre industrie, on va être bien contents!» a lancé spontanément hier matin Yves Mercure, nouveau président de la FTQ-Construction que La Presse venait d'informer de la série de perquisitions alors en cours.

Plus tard, M. Mercure a confirmé qu'il y a deux semaines, la police était aussi passée à la FTQ-Construction pour chercher les «états financiers des deux dernières années».

Hier, la SQ a frappé à Montréal, Laval, Repentigny, Boisbriand, Terrebonne et Trois-Rivières.

La porte-parole de la SQ, Martine Isabelle, a confirmé hier que la police était à la recherche de preuves pour étayer une large enquête sur un réseau de «blanchiment d'argent» dans le secteur de la construction.

La Presse a révélé, au début du mois de mars, l'existence de cette enquête amorcée il y a deux ans, une investigation sans lien avec les notes de frais considérables du directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis.

Il n'y a pas eu d'arrestation hier, mais l'enquête est proche de sa conclusion, indique-t-on.

À Laval, le bureau d'avocats Deveau, Bourgeois, Gagné et Hébert a aussi fait l'objet d'une perquisition effectuée en présence d'un représentant du syndic du Barreau, a expliqué hier soir Me Jean-François Gagné, associé.

Me Richard Hébert est responsable des dossiers construction dans le cabinet, a-t-il indiqué. La police cherchait les dossiers «d'un ancien client» du bureau, dans le secteur de la construction.

À Montréal, la police a saisi des documents chez Guay inc., le plus gros grutier au Canada où avait travaillé comme agent d'affaires l'ancien directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, il y a une douzaine d'années.

«Notre entreprise est très étonnée de la visite des policiers et ne connaît toujours pas les motifs qui ont mené à cette perquisition», a indiqué le vice-président de Guay inc., Denis Gauvin, par voie de communiqué.

De sources policières, La Presse a appris que la SQ s'intéressait par ce coup de filet aux activités de Normand «Casper» Ouimet en lien avec le secteur de la construction.

La police a d'ailleurs procédé à une perquisition hier au domicile de ce dernier à Trois-Rivières.

M. Ouimet est lié au chapitre des Hells Angels dans cette région.

Or, selon des sources policières, M. Ouimet est «en lien avec les Grues Guay». Il est une connaissance de très longue date de Louis-Pierre Lafortune, vice-président aux ventes de Grues Guay - tous deux se connaissent depuis leur enfance.

Les deux hommes étaient devenus très proches aussi de Jocelyn Dupuis, directeur général de la FTQ-Construction, qui a dû démissionner en septembre 2008, tout de suite après qu'un policier à la retraite eut informé Michel Arsenault, président de la FTQ, des liens présumés de M. Dupuis avec une personne liée aux motards.

Hier, le président de la FTQ, Michel Arsenault, a souligné à La Presse que «le Fonds (de solidarité) n'était pas sous enquête. L'enquête portait plutôt sur certains entrepreneurs de l'industrie de la construction qui avaient fait des demandes d'aide chez nous». Les policiers de la SQ - ils étaient quatre et sont passés tôt hier matin - ont saisi une liasse de documents provenant de la demande d'aide d'une entreprise en particulier, a précisé par la suite Josée Lagacé, porte-parole du Fonds.

«Il ne faut pas paniquer: la SQ a dit clairement que le Fonds de solidarité n'est pas ciblé, qu'il n'est pas sous enquête», a dit M. Arsenault.

Méthode de blanchiment

Pour blanchir l'argent du crime organisé, on soupçonne, par exemple, que chez certaines entreprises du secteur de la construction, les heures supplémentaires se payaient en liquide aux employés. Dans l'industrie, des sources indiquent que c'était monnaie courante chez Grues Guay qui, au fil des années, est devenu un quasi-monopole dans ce secteur névralgique de la construction industrielle.

Par la suite, les entreprises renvoyaient l'ascenseur en payant comme fournisseur fictif une société à numéros, une opération qui légitimait subitement l'argent injecté en liquide pour les ouvriers.

Mais ce n'est là qu'un exemple. Des entrepreneurs qui avaient sollicité l'aide du Fonds de solidarité se sont tout à coup retrouvés avec des gens liés aux motards criminels parmi leurs surintendants. Les nouveaux membres du conseil d'administration proposés encore par le Fonds de solidarité tentaient de prendre le contrôle de l'entreprise, mettant de côté les propriétaires.

Bris et vols d'équipements, ralentissement sur les chantiers et même intimidation étaient monnaie courante pour les entrepreneurs qui refusaient de se prêter à ce manège.