Homme juste, profondément humain, travailleur acharné et n'ayant peur de rien. Les hommages rendus à Jean Dutil, juge à la retraite de la Cour du Québec, qui s'est éteint hier matin à 77 ans, ont été nombreux.

Procureur-chef lors de la commission Cliche en 1974 et nommé à la présidence de la Commission d'enquête sur le crime organisé (CECO) quelques mois plus tard, l'homme avait fait sa marque avec son caractère fonceur.

 

Tant l'ancien premier ministre du Canada Brian Mulroney que l'ancien ministre du Parti québécois Guy Chevrette l'ont qualifié de «bulldozer» lorsque La Presse les a joints pour recueillir leurs commentaires.

«C'était le bulldozer de la commission, mentionne Brian Mulroney, un des commissaires de la commission Cliche, mise sur pied par le gouvernement Bourassa à la suite des saccages commis par des travailleurs sur le chantier de la centrale LG-2 à la Baie-James.

Le but de la commission, présidée par le juge Robert Cliche, était de faire la lumière sur l'exercice de la liberté syndicale dans l'industrie de la construction.

L'autre commissaire était Guy Chevrette. «Il n'avait peur de rien. Il ne se laissait pas intimider. Il était très travaillant et allait jusqu'à rencontrer des individus en prison pour préparer ses témoignages», a indiqué M. Chevrette en entrevue.

«La commission Cliche a été pour lui une marque de fierté jusqu'à la fin de ses jours», ajoute Brian Mulroney.

Président de la CECO

Le 11 décembre 1974, juste après avoir été assermenté juge de la Cour des sessions de la paix, Jean Dutil est nommé président de la CECO. Son travail, remarqué, à la commission Cliche (où il fut remplacé par Lucien Bouchard) n'est pas étranger à cette montée en grade.

Chargée de faire la lumière sur les activités et les organisations criminelles au Québec, cette commission avait un mandat très large. Enquêtes sur les réseaux de drogue, la prostitution, le jeu illégal, la fraude, etc., elle a entre autres fait la lumière sur le scandale de la viande avariée. Les organisations criminelles, dont la mafia italienne et le clan des frères Dubois, avaient été regardées à la loupe.

Et le tout était télévisé! «Les gens écoutaient les audiences, le soir, sur le câble. C'était le meilleur téléroman, la téléréalité de l'époque», s'exclame le journaliste Michel Auger qui travaillait à La Presse à cette époque.

La nomination de M. Dutil à la CECO avait libéré le poste de procureur de la Couronne qu'il occupait à Sherbrooke et Thetford Mines. Il fut remplacé par le jeune avocat Jean-Pierre Rancourt, aujourd'hui criminaliste bien connu.

«C'était un gars entier qui ne passait pas par quatre chemins pour dire ce qu'il pensait, indique Me Rancourt. C'était le genre de juge devant lequel on aimait plaider car il donnait l'heure juste.»

À Québec, le juge de la Cour supérieure Richard Grenier se souvient du travail acharné du juge Dutil auprès des communautés autochtones dans le Grand Nord québécois. «La justice chez les autochtones lui tenait beaucoup à coeur», dit-il.

C'est d'ailleurs ce volet de sa carrière qui lui a valu le prix pour le droit Ray Hnatyshyn, du nom de l'ancien gouverneur général du Canada et ministre conservateur, en 2001.

Admis au Barreau en 1958, Jean Dutil avait pris sa retraite de juge à la Cour du Québec le 12 septembre 2001.

«C'était un homme bon. Il a toujours aimé sa carrière, tant comme avocat que comme juge», a indiqué son épouse Danielle Houde, jointe par La Presse.

La ministre québécoise de la Justice, Kathleen Weil, a aussi exprimé sa tristesse. «Par le rôle éminemment public que la CECO lui aura permis de jouer auprès de l'ensemble de la population et son attachement à la cause de la justice, le juge Dutil aura brillamment illustré les valeurs fondamentales qui guident le système de justice du Québec», a-t-elle déclaré par voie de communiqué.

M. Dutil a succombé à un cancer foudroyant. Selon sa femme, il est tombé malade en janvier. Il était revenu de la Floride à la fin de février. Outre sa conjointe, il laisse dans le deuil quatre enfants et quatre petits-enfants.