Elle avait 16 ans, un sourire ravageur, et la vie devant elle. Le 2 mars, on a retrouvé son corps dans la neige. Trois jours plus tard, un homme de son village a été accusé du meurtre. En temps normal, cette histoire aurait fait les manchettes partout au Québec. Mais voilà, elle était autochtone et habitait le Grand Nord québécois. Alors, personne n'a entendu parler de Tera Jolly.

Depuis six mois, cinq Amérindiennes ont disparu ou ont été assassinées au Québec, dans la plus grande indifférence. Parmi elles, Maisy Odjick, 16 ans. Elle a quitté sa réserve de Kitigan Zibi, près de Maniwaki, le 5 septembre, pour ne plus jamais revenir. Rongée par l'inquiétude, sa mère, Laurie, accuse la police de la réserve et la Sûreté du Québec d'avoir bâclé leur enquête.

 

«Les policiers ont présumé dès le départ qu'il s'agissait d'une fugue. Pourtant, ma fille n'a pas emporté d'argent, ni son sac à main», dit Mme Odjick. Elle affirme avoir eu très peu de soutien de la part de sa communauté et des médias. «Quand un lionceau s'est enfui à Maniwaki, il y a eu des recherches intensives, des battues, des hélicoptères. Ma fille n'a eu droit à rien de tout ça.»

L'histoire de Mme Odjick ne surprend guère Beverly Jacobs, présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada (AFAC). «Ça semble être automatique quand il s'agit de la disparition d'une Blanche: sa photo est affichée partout au pays.» C'est moins automatique, poursuit-elle, quand c'est une Amérindienne qui manque à l'appel.

La situation est pourtant critique: l'AFAC a répertorié les cas de 510 femmes autochtones disparues ou assassinées depuis 1980. L'organisme demande une stratégie d'urgence de la part du gouvernement pour lutter contre cette tragédie trop souvent silencieuse. «Ces 510 femmes autochtones, c'est l'équivalent de 18 000 femmes dans la communauté blanche au Canada, dit Mme Jacobs. Si 18 000 Blanches disparaissaient ou étaient assassinées, il y aurait une crise nationale!»

En fait, les Amérindiennes courent cinq fois plus de risques de mourir d'une mort violente que les autres Canadiennes, selon une étude du gouvernement fédéral. Au cours des dernières années, Amnistie internationale et l'ONU ont d'ailleurs demandé à Ottawa d'enquêter sur ces centaines de meurtres et de disparitions inexpliquées.

Dans un rapport publié en 2004, Amnistie internationale se disait «préoccupée par le fait que les autorités canadiennes ne respectent pas leurs obligations à l'égard des femmes autochtones». Selon l'organisme, ces meurtres et disparitions «ne font pas l'objet d'enquêtes suffisamment approfondies, et de nombreuses mesures de prévention identifiées par des commissions et des enquêtes gouvernementales par le passé n'ont pas été mises en oeuvre».

«Pendant ce temps, les phénomènes d'inégalités sociales et économiques, qui existent de longue date et contre lesquels rien n'est fait, continuent d'entraîner les femmes et les jeunes filles autochtones dans des situations où leur vie est beaucoup plus menacée, par exemple dans le commerce du sexe», conclut le rapport.

Pauvreté, agressions sexuelles, racisme, relations historiques troublées: les causes de la violence faite aux femmes autochtones sont nombreuses et complexes. Pour Ellen Gabriel, présidente des Femmes autochtones du Québec, le gouvernement doit non seulement sensibiliser les policiers et les juges, mais toute la société. Parce qu'elle est aussi concernée. «Sur les 510 cas répertoriés par l'AFAC, environ 300 sont des meurtres non résolus, souligne-t-elle. Cela veut dire qu'il y a 300 meurtriers, libres, parmi nous. Et si la prochaine victime était votre soeur, votre cousine, votre fille?»