Voici quelques témoignages de personnes prises dans la manifestation de dimanche.

François Pedneault

Une simple balade en vélo dans le Vieux-Port de Montréal s'est transformée en une longue soirée surréaliste, qui s'est terminée avec une contravention de 144 $, pour François Pedneault, photographe-vidéaste récemment arrivé à Montréal.«Autour de 17h, j'étais à vélo sur Sainte-Catherine, près de la Place des Arts, sur la route du retour vers la maison. J'étais presque rendu à Bleury. J'ai parlé un peu à des gens pour savoir ce qui se passait. J'ai marché un moment avec eux (il était sympathique à leur cause) puis, je me suis rendu compte que nous étions cernés. Il n'était plus question à ce moment de sortir de là, à vélo ou à pied. Les policiers nous disaient de reculer, de bouger. Moi, je leur disait qu'il n'y avait plus de place mais il n'y avait rien à faire.»

Après au moins 45 minutes, les personnes prises dans l'étau ont été sorties une à une, identifiées, délestées de leurs effets personnels puis « tyrappées » pour reprendre l'expression de M. Pedneault.

Embarqués dans des autobus, ces gens ont été conduits vers le stationnement souterrain de la cour municipale où l'attente a été très longue. Pas d'eau, pas de possibilité d'aller aux toilettes. En fin de soirée, M. Pedneault a quitté les lieux avec sa contravention qu'il entend contester. Il est arrivé chez lui, dans le quartier Rosemont, vers minuit.

M. Pedneault n'a pas été frappé ou malmené. Mais il trouve l'intervention exagérée. «À aucun moment, je n'ai eu l'impression de faire quelque chose qui était illégal. (...) J'ai souvent participé à des manifestations en Europe. On y employait la tactique d'encercler les manifestants, mais uniquement pour casser la manifestation. Ils ne font pas des arrestations de masse comme c'était le cas dimanche. Ils font des poches pour que le cortège soit séparé. Ensuite, après 20 minutes, ils nous laissent partir. Je pensais que c'est ça qui arriverait. J'ai été vraiment surpris de voir qu'ils arrêtaient tout le monde.»

Malcolm Garneau

Employé dans un magasin d'électronique du centre-ville et photographe pigiste à ses heures, Malcolm Garneau est sorti du travail en fin d'après-midi avec son équipement au cou. Il photographiait les manifestants, rue Sainte-Catherine, lorsque des policiers se sont rués sur lui. Un coup de bouclier lui a fendu la lèvre supérieure.

«J'étais à une dizaine de pieds de la barricade, mon appareil photo dans les mains. Je prenais des clichés. La police a sonné la charge. Je me suis tassé tranquillement pour continuer à prendre des clichés. En tournant la tête vers la gauche, j'ai aperçu quatre policiers se dirigeant vers moi. Ils m'ont rentré dedans en me disant « Move ! » à environ un pied de distance.»

«Le premier (policier) m'a poussé avec le bouclier, au niveau du corps. Le deuxième, un peu plus à droite, m'a donné un coup de bouclier directement au visage. Ça m'a fendu la lèvre. J'ai eu un gros bleu.»

Hier matin, M. Garneau ressentait encore de la douleur à la lèvre. Il affirme que des images prises par une caméra de LCN montre clairement un policier le charger au visage avec un bouclier.

«J'étais carrément tout seul. Il n'y avait aucun manifestant proche de moi. J'avais 3000 dollars en équipement dans les mains. Je ne crois pas que je représentais une menace pour la police.»

Deux ans plus tôt, il avait couvert la même manifestation. «La police était beaucoup moins agressive. En chargeant, ils arrivaient à me tasser, ils me contournaient en sachant que je ne faisais rien de mal (...) Je les ai trouvés très agressifs cette année.»

Thierry Hellou

À la suite des événements de Montréal-Nord survenus à l'été 2008, ce jeune homme de 25 ans, ayant étudié en histoire et présentement prestataire d'assurance-chômage, dit s'être senti interpellé par la manifestation «parce que le travail des policiers puisse être caché du public et que tout se passe à l'interne».

Affirmant n'appartenir à aucun groupe en particulier, il affirme avoir été témoin de deux arrestations de personnes qui n'avaient, à son avis, pas commis d'actes de violence.

«À un moment donné, je me suis retrouvé sur le boulevard René-Lévesque avec un camarade (rencontré sur place). Des policiers (en civil) dans une voiture sont arrivés et ils l'ont pris. Je ne comprends pas pourquoi ils l'ont arrêté. J'étais juste à côté. Ça aurait pu aussi bien être moi.»

Selon lui, le fait que son camarade avait des allures punks alors que lui ressemble à un «moine tibétain» a fait la différence, ce qu'il déplore. «Il ne faisait que parler avec moi.»

Une heure plus tard, rue Sherbrooke, M. Hellou a été témoin d'une autre arrestation. Cette fois, des policiers en civil sont sortis en trombe d'un hôtel pour arrêter deux manifestants. «J'ai voulu m'interposer. Je trouvais que ces arrestations n'avaient aucune justification. J'ai reçu du poivre de Cayenne et un coup de poing à la figure.»

À ce sujet, M. Hellou ne croit pas être une victime des actes policiers. «J'ai cherché ce qui m'est arrivé», dit-il.

Selon lui, certains manifestants ont commis des actes répréhensibles, en cassant des vitrines par exemple. Mais l'État, croit-il, doit donner un plus grand droit de parole aux marginaux et ne pas les réprimer comme il en a été témoin.

Valérie Michaud

Valérie Michaud et son copain marchaient sur la rue Sainte-Catherine et se sont arrêtés près de Saint-Urbain pour acheter une glace. Attirés par la manifestation, ils sont sortis à l'extérieur. Lorsque le grabuge a commencé, ils se sont éloignés.

«L'émeute a poussé encore plus, les manifestants sortant de partout, lançant des grosses pierres, alors je me suis mise à courir pour aller me mettre à l'abri de l'autre côté de la rue, raconte Mme Michaud dans un courriel.

«Mon chum a eu un moment d'arrêt pour voir où j'étais partie, et une seconde après, il se faisait pousser contre une voiture par un policier. Il a monté sa crème glacée dans ses mains pour montrer au policier qu'il ne faisait pas partie de la manifestation. Le policier l'a repoussé. Mon chum s'est mis à genoux, les bras en l'air, crème glacée toujours en main. J'ai couru vers lui, en criant qu'il n'avait rien fait, le policier m'a repoussé et m'a dit d'aller ailleurs.

«Mon chum s'est fait mettre en sandwich avec plein d'autres personnes, innocentes et non. On pensait que ça allait durer le temps que la manifestation se calme, mais non. J'ai attendu 3 heures, essayant vainement de demander aux policiers ce qui allait arriver, en expliquant ma situation. On m'a répondu qu'il n'avait juste à pas être là et qu'on ne savait pas ce qu'ils allaient faire.

«Finalement, en parlant avec d'autres personnes dans ma situation, j'ai compris qu'on allait les arrêter et les emmener dans un poste de police.

«J'ai demandé lequel à un policier, on m'a dit qu'on ne savait pas. Qu'il fallait être patient... Après 3 heures, les policiers ont repoussé les gens jusque sur René-Lévesque, donc il m'était maintenant impossible de voir mon chum.

«En tournant en rond, j'ai finalement réussi, 2 heures plus tard, à retourner à l'endroit où il avait été arrêté. J'ai demandé à un policier où était le poste de police le plus près. Il m'a répondu, nonchalant : "Je ne sais pas".

«J'ai toujours approché les policiers d'une façon polie, courtoise, car je comprenais bien ce qu'ils vivaient, mais on m'a toujours répondu d'une façon bête, sans aucun respect.

«Vers le 22h, mon chum a finalement réussi à me téléphoner. Il avait été menotté avec des menottes de plastique, on lui a fait mal aux poignets, on l'avait laissé dehors pendant cinq heures, sans même avoir le droit d'aller aux toilettes ou téléphoner.

«Il est ressorti vers 23 heures, avec une belle amende de 144 dollars. Tout ça pour avoir manger de la crème glacée par un beau dimanche après-midi.

«Ce qui me révolte, c'est l'incompétence des policiers, de ne pas pouvoir donner de réponses aux citoyens et de ne pas avoir utilisé leur jugement avant d'arrêter quelqu'un.

«Je comprends parfaitement qu'on ne peut juger quelqu'un par son apparence, mais ça se voyait clairement qui était un manifestant et qui ne l'était pas.

«Nous avons perdu une belle journée, tout ça à cause d'une gang de jeunes qui ne cherchent qu'à saccager et qui ne pensent aucunement que des gens "normaux" ont une vie et qu'il s'agit de propriété publique. Qui va payer pour les voitures brisées, les commerçants? Et encore une fois, nous passons pour des sauvages.

«Pensons aux touristes qui visitaient notre ville, qui n'étaient au courant de rien. Tout ça est complètement ridicule. On nous a dit qu'on avait juste à ne pas être là...

«Bien oui, maintenant, il faut demander une permission pour se promener au centre-ville, juste au cas où une gang de manifestants prendraient d'assaut les rues...»

Bruno-Olivier (l'auteur a demandé à taire son nom)

«Étudiant au baccalauréat, j'étais en train d'étudier à la bibliothèque de l'Université McGill lorsque j'ai décidé de me déplacer vers une seconde bibliothèque, située également sur le campus. En arrivant rue McTavish, j'ai vu des manifestants descendre vers le sud, je me suis dit que ce devait être la fin d'une manifestation étudiante.

«J'ai monté la rue vers le nord où se trouve la porte d'entrée de la bibliothèque. C'est alors que j'ai aperçu une rangée d'environ 20 policiers habillés en armure avec des matraques qui marchaient vers moi. J'ai eu très peu de temps pour réagir. J'ai seulement eu le temps de dire que je me dirigeais vers ma bibliothèque. Trop tard! J'ai reçu un coup de matraque sur le bras tendu vers la bibliothèque.

«Trois autres policiers se sont joints au premier pour me frapper sur les bras et sur mon sac à dos. Ils m'ont poussé tout en me frappant sur une distance de dix mètres puis, ils se sont arrêtés et regroupés.

«Résultat, j'ai un bleu sur le bras et des objets cassés dans mon sac à dos. Mais j'ai surtout de la frustration et de l'antipathie pour le corps de police de Montréal. J'ai appris par la suite que c'était une partie de la manifestation contre la brutalité policière - assez ironique merci!

«La prochaine fois, en passant par un campus universitaire, les policiers devraient faire preuve de plus de jugement et ne pas simplement frapper comme des abrutis sur tout le monde qui se trouve sur leur chemin.»

Serge Simard (par courriel)

«Pour la première fois depuis que j'habite cette ville (25 ans), j'ai eu peur des policiers.

«Tout comme M. Tremblay (ndlr : dont il a été question hier dans l'article de Rima Elkouri), j'ai simplement eu l'idée saugrenue d'aller prendre une marche dans le centre-ville par une belle journée ensoleillée.

«Au début, je croyais qu'il s'agissait de l'attroupement provoqué par une chute de briques provenant d'un édifice sur la rue Sainte-Catherine. Pour m'apercevoir tout à coup que j'étais coincé en plein coeur de la manif.

«Les policiers ont formé un barrage avec chevaux et tutti quanti. Je me suis approché de l'un d'eux pour m'informer par où je pouvais passer pour me sortir de là. Pour toute réponse, on m'a gueulé « bouge de là, bouge de là ».

«Prenez note que je suis un gars dans la cinquantaine avec les cheveux blancs comme neige. Je sais, je sais, depuis le 11 septembre...

«Et là, les policiers ont commencé à s'avancer vers la foule en frappant sur leurs boucliers avec leurs matraques. Je n'en revenais pas. La tension était à couper au couteau. J'ai alors pensé: la violence a une odeur... Ça se respirait. Peut-être s'agit-il du tournage d'un film américain dont l'action se déroule à Los Angeles ou quelque part au Moyen Orient? Ou encore je rêve, je rêve que j'écoute Grands Reportages à RDI...

«Bref, je voyais se dérouler sous mes yeux ce genre de scène qu'on a si souvent l'occasion de voir dans le confort de son salon. Du Costa Gravas. À Montréal, une ville où les problèmes du Canadien peuvent faire la manchette pendant des semaines!!!

«Heureusement pour moi - et plusieurs autres autour de moi qui visiblement se trouvaient là par hasard - un ordre a dû être donné et la horde s'est arrêtée brusquement pour se mettre à reculer.

«Ouf!!! Je peux comprendre qu'on tienne à éviter tout débordement ou manifestation de violence, mais jamais l'on ne me fera croire que cela entraîne presque automatiquement la perte de jugement ou du gros bon sens.

«Je sais bien que les doctorats en philosophie sont rares parmi les corps policiers. Mais simplement, un minimum de bienséance et de civisme seraient amplement suffisants.»