Au Québec, «la corruption est indissociable de l'industrie de la construction», observe Jean Sexton. Sur les grands chantiers de construction, le respect des délais est si important que ceux qui ont le pouvoir de répartir les employés et de contrôler leur rythme de travail sont très exposés à la tentation de «l'enveloppe brune».

Jean Sexton s'y connaît un peu en construction, il était déjà un des chercheurs de la commission Cliche en 1974 - il a contribué à la rédaction du rapport. Il a coprésidé la commission Picard-Sexton à la fin des années 80, qui voulait moderniser les relations de travail dans le monde de la construction. «Des lois désuètes qui sont encore un fouillis inextricable», déplorait-il hier, dans une longue entrevue à La Presse.

 

En 2004, l'universitaire a été mandaté par Québec pour siéger à la commission d'enquête sur la Gaspésia.

Son intervention survient au moment où la FTQ-Construction est dans l'embarras. Dans une entrevue à La Presse Canadienne, le président de la FTQ, Michel Arsenault, a indiqué samedi qu'il avait congédié le directeur général de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, après qu'un «policier retraité de la GRC (...) (l'eut) informé qu'une enquête était faite sur Jocelyn Dupuis dans une cause de blanchiment d'argent relié aux gangs de motards».

Il confirmait ainsi les reportages de La Presse la semaine dernière qui indiquaient que le départ de M. Dupuis, à la mi-septembre 2008, était lié à ses relations avec le monde interlope.

Jean «Johnny» Lavallée a dû au même moment quitter la présidence de la FTQ-Construction. Selon une source fiable, M. Dupuis a été forcé de vider sur-le-champ son bureau, dès son retour à l'édifice de la FTQ, après un petit-déjeuner très matinal avec M. Arsenault.

La FTQ n'a pas fait de conférence de presse, comme elle l'avait laissé entendre la semaine dernière. Personne n'a demandé à M. Arsenault pourquoi M. Dupuis avait tout de même bénéficié d'une prime de départ de 140 000$.

Jean Sexton insiste sur le fait qu'il ne sait rien des coulisses de ces rebondissements. Il constate toutefois qu'il est bien rare qu'un président de la FTQ impose ses vues à la FTQ-Construction.

«La FTQ-Construction est indépendante, comme les autres constituantes. Le président n'a sur elle qu'une autorité morale», observe l'universitaire, qui a bien connu les Louis Laberge, Jean Lavallée et Yves Paré, le prédécesseur de M. Dupuis.

Le gros bout du bâton

Ancien professeur en relations industrielles à Laval, toujours arbitre de griefs, M. Sexton relève que ceux qui détiennent les pouvoirs d'attribution des ouvriers ont un pouvoir de vie ou de mort sur les chantiers. Comme dans bien des métiers stratégiques, plus de 80% des ouvriers se trouvent dans le même syndicat, les organisations syndicales de métiers ont un levier important sur la capacité des entrepreneurs à respecter leurs échéanciers, et par conséquent leurs budgets. Certains comprennent vite que de l'argent sous la table leur permettra d'atteindre leurs cibles, résume-t-il.

«La corruption apparaît d'abord quand l'emploi est intermittent; les débardeurs, le taxi, le camionnage. La construction aussi. Mais on y trouve une particularité: pour arriver à la fin d'un projet, il doit y avoir une synchronisation parfaite entre les corps de métiers, l'intervention des fournisseurs. Le moindre bris dans cette chaîne fait apparaître des délais, donc des coûts... là on commence à entrer dans les choses sérieuses.»

L'appui des syndicats de la construction est absolument nécessaire aux responsables de chantiers non résidentiels. Par exemple, la FIPOE, composée essentiellement des électriciens de grands chantiers, contrôle 80% des ouvriers du secteur.

Le secteur de la construction est toujours gouverné par des lois vieillottes au Québec, des règles écrites en vitesse, «toujours adoptées à la vapeur en fin de session parlementaire», après la commission Cliche en 1974.

La loi précise que c'est la Commission de la construction du Québec, qui a le mandat d'appliquer les quatre conventions collectives. Or en 2007, il s'est prélevé 55 millions en cotisations syndicales auprès des ouvriers des chantiers, dont 44% sont allés à la FTQ-Construction - soit quelque 20 millions.

Mais avec ce budget, la FTQ n'a même pas besoin de payer l'application de la convention. À la dernière ronde, elle n'a pas eu à verser un sou pour la négociation - elle a perdu ce rôle aux mains d'une coalition entre la CSN, la CSD et le Conseil provincial.