Le pire ennemi d'un agent secret de la police est la bureaucratie. Spécialiste de l'infiltration, Alex Caine est bien placé pour le savoir. En 28 ans, il a travaillé pour la GRC, le FBI, l'Agence antidrogue des États-Unis (la DEA) et d'autres corps de police aux quatre coins du globe, afin de les aider à coffrer des mafiosi, des motards, des membres de triades chinoises, des pégriots russes et d'autres truands de tout acabit.

Caine a écrit ses mémoires, Métier: infiltrateur, ma vie parmi les criminels. En fait, on devrait parler d'un super polar. Il y raconte les bons et mauvais moments de sa quarantaine d'opérations d'infiltration de gangs criminels, tels les Hells Angels de Sherbrooke, les Para-Dice Riders de Toronto, des sections des Bandidos aux États-Unis, la pègre italienne de Niagara Falls, des trafiquants d'héroïne asiatiques de Vancouver, des marchands d'armes venus des pays de l'Est, et même le Ku Klux Klan.

Se perdre dans son personnage

D'un sang-froid remarquable et d'une imagination sans bornes, Caine a infiltré les Bandidos de Billingham, près de Seattle, pendant près de quatre ans. Comme cette ville n'est pas loin de la frontière canado-américaine, il se faisait passer pour un contrebandier. Il a si bien joué son rôle qu'il est devenu un membre du club. Il achetait des armes et des véhicules volés qu'il remettait à ses contrôleurs américains. Il a participé à des randonnées à moto et assisté à un grand rassemblement de la paix avec les Hells Angels. Il a aussi été témoin de bagarres et de fusillades.

«J'étais en train de me perdre dans mon personnage», écrit-il dans le bouquin. L'opération s'est terminée dans le chaos, au moment où il allait réussir un autre grand coup, cette fois contre des Bandidos du Texas. Après avoir reçu le feu vert de ses contrôleurs, il s'était engagé à acheter un cabaret avec des motards texans. La transaction a toutefois été annulée par les hautes instances de la DEA. La raison : il était «administrativement» trop compliqué de le faire passer de l'État de Washington à celui du Texas.

Cette décision inattendue a semé le chaos. Se sentant trahi et ne faisant qu'à sa tête, Caine est allé à un rendez-vous où ses «frères» l'attendaient, l'arme au poing. Il est parti en trombe juste comme on tirait sur lui. Une balle a failli lui fracasser le crâne. «Je savais qu'ils m'en voulaient, et je n'aurais jamais dû me présenter là. J'étais en train de me perdre dans la peau de mon personnage. Avec le recul, je peux dire que j'étais en dépression nerveuse», a-t-il dit au cours d'une entrevue.

Un autre incident lui a laissé un goût extrêmement amer. En 1996, en pleine guerre des motards, alors que la police manquait cruellement d'informateurs, il avait été engagé par l'escouade Carcajou pour infiltrer les Hells Angels de Sherbrooke, fortement impliqués dans le trafic de drogue. «Les policiers cherchaient surtout à savoir comment ils blanchissaient leur argent», souligne Caine.

En se donnant l'image d'un tueur à gages à la recherche d'une danseuse qui avait parlé à la police, Caine avait commencé à appâter des sympathisants de l'organisation quand un spécialiste bien connu de la SQ, aujourd'hui à la retraite et qu'il ne nomme pas, a confié à des journalistes qu'une enquête était en cours à Sherbrooke. Au grand dam de Caine - et de ses contrôleurs de la GRC -, l'officier de la SQ est allé jusqu'à préciser qu'un espion était aux trousses des motards. Il va sans dire que la direction de Carcajou a interrompu l'opération.

«Bureaucratie crasse»

Sans fard, Caine raconte ainsi tout au long du livre les années passées à traîner dans les lieux fréquentés par les criminels (bars, stationnements, commerces, caches de drogue, etc.), avec comme seule protection une petite grappe de policiers qu'il dit tout aussi épris de justice et avides d'émotions fortes que lui. «Il y a malheureusement trop de personnes en autorité - policiers et autres - davantage intéressées à l'avancement de leur carrière qu'à pourchasser les criminels », déplore Alex Caine, en expliquant que « c'est toute cette bureaucratie crasse» qui l'a amené à tirer sa révérence.

D'autres projets

Âgé de 58 ans, il rêve maintenant de calme et de tranquillité dans une petite maison au bord de la mer, avec son chien comme seul compagnon. Comme il en a encore long à raconter, il planche sur un autre livre et en écrira peut-être même un troisième. «J'ai encore plein d'histoires inédites, dont une à l'étranger, impliquant une douzaine de corps de police de six pays. Mais je dois d'abord faire lever le secret d'État qui entoure l'opération», a-t-il conclu, avec une pointe de fierté.