Estimant injuste que des personnes ayant participé à la même manifestation il y a six ans et demi aient été condamnées, alors que d'autres ont été acquittées, la juge Sophie Bourque absout tout le monde.

«Il importe peu aujourd'hui que la manifestation ait été tumultueuse ou pacifique, savoir qui avait raison qui avait tort. Ce qui compte c'est de restaurer la confiance dans l'administration de la justice. Six ans plus tard, il est manifeste que maintenir les condamnations serait inéquitable et injuste», écrit la juge Bourque dans des jugements qui visent 66 personnes. Ces dernières faisaient partie d'un groupe d'environ 300 personnes, accusées d'attroupement illégal à la suite d'une manifestation contre la brutalité policière qui s'était déroulée le 15 mars 2002, à Montréal. Il y avait eu un peu de grabuge. Les manifestants avaient été refoulés vers le palais de justice, et arrêtés.

L'arrivée subite d'un aussi grand nombre de personnes dans le rouage judiciaire nécessite une certaine logistique. Dans un premier temps, on décidait de former 28 groupes d'accusés, ce qui résulterait en 28 procès. Il est vite apparu que ce serait ingérable, d'autant plus qu'une nouvelle directive interdisait de tenir plus de trois jours d'audience d'affilée pour ce type de procès. Après de nouvelles jongleries, on décidait, en 2004, de fusionner des groupes d'accusés pour réduire à neuf procès. Neuf juges ont présidé neuf procès, qui ont débouché sur des conclusions contradictoires. Deux groupes d'individus étaient déclarés coupables, d'autres étaient acquittés, et d'autres encore bénéficiaient d'un arrêt de procédures.

«C'est ainsi que Pierre, Jean, Jacques qui ont pourtant marché toute la manifestation ensemble ont vécu un événement différent aux conséquences juridiques opposées. Pierre a pris part à une manifestation pacifique et a été acquitté. Jean a participé à un attroupement illégal et a été condamné. Quant à Jacques, il ne sait à quel genre d'événement il est allé puisque dans son dossier, les procédures ont été arrêtées en raison des délais déraisonnables», note la juge Bourque. Elle rectifie donc le tir en acquittant les condamnés et en déclarant un arrêt des procédures dans des dossiers qui étaient en appel. Il convient de préciser qu'il n'y avait pas de preuve individuelle contre les accusés.

Me Suzanne Béchard, une des procureures de la Ville de Montréal dans cette affaire, admet que de telles causes sont difficiles à gérer. «Autant pour les policiers qui procèdent aux arrestations, que pour nous. Ça crée des délais.»

Me Lescarbeau, qui a officié dans trois des procès en défense, est évidemment bien satisfait de la décision. «Les gens se sont battus pour le principe. Mais en défense, on s'explique difficilement l'acharnement de la poursuite à continuer après que des juges eurent prononcé des acquittements.»