Peu importe la différence d'âge entre les époux, qu'il s'agisse d'un second mariage et que l'un des époux ait contribué au ménage beaucoup plus que l'autre financièrement, la règle est la même pour tout le monde: au moment du divorce, le patrimoine familial doit être également et entièrement partagé. Même les revenus de retraite.

La Cour suprême du Canada a cassé hier une décision de la Cour d'appel du Québec, qui avait considéré que, dans la cause de divorce qui lui était soumise, le partage de la caisse de retraite prévu dans le Code civil constituait une injustice.

Rappel des faits. En 1992, après sept ans de vie commune, monsieur et madame se marient. Elle a alors 30 ans et est fonctionnaire; il en a 52 et est juge à la Cour du Québec. Monsieur, dont c'est le second mariage, a payé toutes les études universitaires de madame. En 2004, c'est la rupture. Elle part étudier dans une autre ville, il paie les frais de déménagement et une pension alimentaire de 38 000$ la première année. La procédure de divorce est en marche. Elle a alors 42 ans et étudie au doctorat; il en a 64 et prendra bientôt sa retraite.

Dans la procédure de divorce, monsieur veut exclure du patrimoine familial à partager les 800 000$ de droits accumulés durant le mariage dans le régime de retraite des juges. Madame est «autonome et employable», plaide-t-il, et elle «pourrait se constituer un fonds de pension d'ici à ce qu'elle atteigne l'âge de la retraite». S'il lui fallait partager ses revenus de retraite, «il devrait différer sa retraite» pour accumuler suffisamment de fonds. De plus, «tous les biens compris dans le patrimoine familial avaient été accumulés grâce à ses seuls efforts».

La Cour supérieure rejette la demande, mais la Cour d'appel donne raison à monsieur. Elle estime en effet qu'un partage égal constituerait une injustice.

Partage inégal dans des cas précis

Mais les juges de la Cour suprême ne sont pas d'accord: ils estiment que la Cour d'appel n'a pas respecté les limites imposées par le législateur pour qu'un partage inégal puisse être autorisé.

Car il peut y avoir partage inégal du patrimoine familial, explique Alain Roy, professeur à la faculté de droit de l'Université de Montréal dans le cas d'une «brève durée du mariage», de la «dilapidation de certains biens par l'un des époux» ou encore «de la mauvaise foi de l'un d'eux», dit la loi.

Dans ce cas-ci, dit Alain Roy, «on constate que la Cour suprême revient à une interprétation plus conservatrice de la loi». Cela pourrait ouvrir la porte à un débat. Le mariage est une institution qui va au-delà de la loi. «C'est un symbole culturel extrêmement fort», dit M. Roy. Or, le mariage au Québec impose un cadre juridique qui convient bien aux jeunes de 20 ou 30 ans qui constituent ensemble leur patrimoine familial. Mais qu'en est-il pour ceux dont c'est le second mariage? Ou qui se marient à 50 ans? Ou pour les conjoints de même sexe qui sont aux prises avec des mécanismes juridiques basés sur des inégalités homme-femme? demande Alain Roy.

Loin de lui l'idée de remettre en question les bienfaits de la loi, qui a protégé notamment les femmes au foyer sans revenus ni rente de retraite lors du divorce. «Mais j'ai l'impression que, à l'avenir, il y aura de plus en plus de gens mal à l'aise avec le carcan du partage du patrimoine familial», dit-il.

Des raisons insuffisantes

Ici, la Cour suprême a considéré que le fait que ce soit un second mariage pour monsieur n'a pas à être considéré comme cause d'injustice puisqu'il n'aurait pas eu d'impact «sur la vie des parties et sur la situation financière» de monsieur. De plus, même si monsieur a contribué davantage que madame au patrimoine familial, ce n'est pas une injustice aux yeux des juges. «Il s'agit plutôt d'une conséquence prévisible du mariage», écrivent-ils. Les époux avaient d'ailleurs convenu que madame étudierait ou travaillerait à temps partiel ou dans des emplois précaires ou temporaires.

Enfin, ni la différence d'âge de plus de 20 ans entre les époux, ni le fait que monsieur était à la veille de la retraite ne peuvent être considérés comme causes d'injustice. «Cette situation était nécessairement acceptée par les parties dès le début de leur union.»

Le partage du patrimoine, y compris la caisse de retraite accumulée durant le mariage, «représente la mesure de justice voulue par le législateur». Y déroger serait contrevenir à la loi, conclut la Cour suprême.