Manque d'argent, de leadership, de collaboration, de ressources... La justice canadienne voudrait pouvoir lutter plus efficacement contre le crime organisé de plus en plus sophistiqué, selon un rapport remis au ministère de la Sécurité publique du Canada, que La Presse a obtenu en vertu de la Loi d'accès à l'information.

«La lutte contre le crime organisé coûte cher (et) les gouvernements doivent engager les ressources nécessaires pour gagner la bataille ou, au moins, pour faire des gains importants», est-il écrit dans le rapport.

 

Menée auprès de 125 policiers et substituts du procureur général du Canada, l'enquête visait à mieux connaître l'opinion et les besoins des gens du milieu pour combattre le crime organisé au pays. Le rapport a été remis par la firme Strategic Counsel en juillet au ministère canadien de la Sécurité publique.

Les participants à l'enquête y critiquent la faiblesse de la législation canadienne. La loi canadienne «n'a pas les dents de la loi américaine pour lutter contre le crime organisé», disent-ils. De plus, les procureurs et les juges «ne sont pas aussi agressifs que leurs homologues américains à poursuivre et à condamner les personnes qui participent au crime organisé».

Adoptée en 1997, modifiée en 2001, la loi C-24 contre le gangstérisme définit l'appartenance à une organisation criminelle. Les membres reconnus peuvent être emprisonnés sans même avoir commis un délit. Les biens qui appartiennent à une organisation criminelle peuvent également être saisis; c'est à leurs propriétaires de prouver qu'ils ont été acquis légalement. La loi a permis d'inculper plusieurs motards, membres de gangs de rue et mafieux de tout le pays.

Mais les policiers, en particulier, en veulent plus. Ils estiment que les autorités canadiennes «ne (profitent) pas de tout le poids et la force de la nouvelle loi». Ils déplorent «l'absence d'un mécanisme dans la loi canadienne semblable au Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act (RICO) aux États-Unis».

L'un des participants note toutefois qu'il faut laisser le temps à tous d'explorer les possibilités de la loi. Aux États-Unis, a-t-il précisé, il aura fallu 10 ans pour que le RICO soit complètement maîtrisé. «Et au lieu de demander un changement à la loi tous les cinq ans, ils ont appris à la connaître», dit Jean-Paul Brodeur, directeur du Centre international de criminologie comparée de l'Université de Montréal. En fait, dit M. Brodeur, la loi américaine n'a pas beaucoup plus de dents que la loi canadienne.

Mais les policiers et procureurs américains ne sont pas tenus, eux, de divulguer toute la preuve qu'ils détiennent à la demande de l'accusé. Ces procédures enragent particulièrement les policiers. Dans les cas de grosses enquêtes, comme celles sur les gangs de motards, des millions de pages d'écoute électronique doivent notamment être consignées. Une opération qui mobilise le «personnel clé pour de longues périodes de temps», se plaignent les policiers. Un participant a caricaturé la situation en disant qu'on lui demandait maintenant de «justifier ses justifications».

Plus de ressources

Policiers et avocats réclament «un leadership plus fort (...) pour souligner la priorité accordée à l'élimination ou à la réduction du crime organisé au Canada».

Le partage d'information est l'un des principaux obstacles auxquels disent faire face policiers et avocats. «On dirait qu'il y a une mentalité de vouloir garder cette information pour soi», a déploré un participant. Les renseignements que détiennent le Service correctionnel du Canada et l'Agence des services frontaliers du Canada devraient notamment être mieux utilisés.

La formation est aussi une préoccupation majeure. Les policiers devraient mieux connaître le fonctionnement de la justice pour mener des enquêtes qui aboutiront à des condamnations. Les avocats - et même les juges - devraient acquérir une expérience sur le terrain pour mieux comprendre le travail des policiers.

Le manque de ressources frustre les policiers qui doivent laisser tomber des filons d'enquête, faute de personnel. Le départ prochain à la retraite d'une importante cohorte de policiers d'expérience risque de rendre la police vulnérable, selon le rapport.

Pour joindre notre journaliste judith.lachapelle@lapresse.ca