Un lanceur d'alerte est devenu « persona non grata » à la Sûreté du Québec (SQ) après avoir levé le voile sur le paiement suspect de « packages » de départ à la retraite à deux hauts dirigeants du corps de police.

Ces sommes puisées à même le fonds secret des enquêtes criminelles sont au coeur du procès pour fraude, vol et abus de confiance de l'ancien grand patron de la SQ Richard Deschesnes et des ex-officiers supérieurs Steven Chabot et Alfred Tremblay.

« À partir du moment où j'ai parlé, où j'ai informé le directeur général [Mario Laprise], ma carrière à la Sûreté a complètement basculé », a confié hier un ancien employé des finances de la SQ, dont l'identité est protégée par la Cour. Ce témoin clé de la Couronne avait informé le nouveau patron de la SQ, en octobre 2012, que son prédécesseur, Richard Deschesnes, avait autorisé en mars 2010 des paiements d'indemnités « anormales » à deux officiers sur le point de prendre leur retraite.

Le directeur adjoint Steven Chabot et l'inspecteur-chef Alfred Tremblay avaient reçu respectivement 167 931 $ et 79 877 $ du fonds de dépenses secrètes d'opérations, un fonds discrétionnaire confidentiel utilisé pour payer certaines dépenses d'enquêtes criminelles. « C'était inhabituel d'avoir des montants si élevés à des hauts gradés de la SQ qui ne sont pas sur le terrain pour des enquêtes. C'était la première fois que je voyais ça », a résumé le témoin.

Présence inhabituelle

Le lanceur d'alerte avait appris l'existence de ces deux chèques - présentés à la Cour hier - en raison de la présence inhabituelle du directeur adjoint Steven Chabot à son étage du quartier général. Le témoin avait alors informé son supérieur de sa découverte, mais l'affaire était restée sans suite, jusqu'à la nomination de Mario Laprise à la tête de la SQ. 

Ce dernier a alors rapidement lancé une enquête criminelle qui a mené aux deux procès en cours. L'ex-directeur général adjoint Jean Audette a un procès distinct pour avoir usé du fonds secret pour payer le consultant Denis Depelteau, lequel a plaidé coupable.

Deux mois plus tard, en décembre 2012, le témoin a reçu un bref appel d'un ancien officier supérieur de la SQ et ami proche de Richard Deschesnes. « On sait que c'est toi qui as parlé », lui a-t-il dit, nébuleux. Un autre officier supérieur de la SQ lui a aussi reproché sévèrement d'avoir participé à un interrogatoire vidéo avec les enquêteurs. Le climat est devenu encore plus difficile pour le lanceur d'alerte après le départ de Mario Laprise, en août 2014, et son remplacement par le directeur général actuel, Martin Prud'homme.

« C'est un cercle assez fermé, disons qu'il y a un paquet d'officiers supérieurs qui ne me parlaient plus, qui ne me regardaient plus. J'étais considéré comme persona non grata. Ce n'était pas ce que je voulais. Mais je n'avais pas d'autre choix. Si je n'avais pas parlé, aujourd'hui, ce serait quoi ? J'aurais été enquêté par les affaires internes pour avoir été au courant de choses qui étaient illégales que je n'aurais pas divulguées. J'ai suivi mes valeurs et j'ai informé le patron, tout simplement », a-t-il témoigné.

Son contre-interrogatoire se poursuit aujourd'hui.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, archives LA PRESSE

Steven Chabot, ex-officier supérieur de la SQ

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, archives LA PRESSE

Alfred Tremblay, ex-officier supérieur de la SQ