L'homme qui a échappé à son procès pour le meurtre de sa femme en raison de l'arrêt Jordan, la semaine dernière, fait maintenant l'objet d'un avis d'expulsion au Sri Lanka.

Il peut le contester et les procédures prennent des années. Pour l'instant, il reste détenu, mais cela pourrait changer dès jeudi. « Je n'ai jamais rien fait de mal. Tout allait bien avant de me marier », a soutenu Sivaloganathan Thanabalasingham alors qu'il comparaissait lundi devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR).

« C'est arrivé une journée, c'est arrivé juste avec une personne. Je m'entends bien avec les gens. Je n'embête pas les gens, et les gens ne m'embêtent pas », a fait valoir l'homme de 31 ans, dans le cadre de cette première audience devant la CISR.

M. Thanabalasingham est arrivé sans menottes, escorté par des agents. L'audience pour enquête et révision de détention a duré environ trois heures.

« L'éléphant dans la pièce, c'est qu'une personne est morte, et vous n'avez pas dit que vous ne l'avez pas tuée, alors que vous aviez l'occasion de le faire », a dit la commissaire Diane Torrdof.

« On n'est pas dans une cour criminelle, je ne peux pas dire que vous êtes coupable de meurtre. Mais ce que j'ai devant moi montre un pattern de violence conjugale. Je ne sais pas ce qui vous a provoqué dans le passé. Je ne sais pas si, dans le futur, une autre relation pourrait arriver à ce résultat », a ajouté la commissaire.

Elle a également relevé que vendredi dernier, jour où il a eu un premier entretien avec un représentant de l'immigration, il n'avait pas manifesté de remords pour les voies de fait commis à l'égard de sa femme. Quand on lui a demandé avec quelle arme il l'avait frappée, il a répondu de le lui demander à elle, alors qu'elle est morte il y a presque cinq ans.

LE FRÈRE

Le frère aîné de M. Thanabalasingham a également témoigné. Il n'est pas au courant de tous les détails, mais il sait que son frère était en prison « pour avoir tué sa femme ». Il se dit prêt à prendre son frère chez lui et à le surveiller. Il peut mettre de l'argent en garantie, provenant de deux immeubles qu'il possède avec sa femme. Mais voilà, celle-ci n'était pas présente, lundi, et la commissaire ne pouvait être certaine qu'elle y consentait. Elle a refusé d'accorder la liberté, mais une autre audience est fixée pour jeudi.

M. Thanabalasingham n'était pas citoyen canadien quand il a commis des voies de fait à l'égard de sa jeune femme, Anuja Baskaran, en décembre 2011, ainsi qu'en janvier et en mai 2012. Il était résident permanent. Il a été condamné à cinq mois de prison.

Lundi, la commissaire a indiqué qu'une peine de moins de six mois permettait de faire appel de son avis d'expulsion.

DÉLAIS DÉRAISONNABLES

Rappelons que le procès de meurtre de M. Thanabalasingham devait commencer lundi, à Montréal, avec le choix du jury. Jeudi dernier, le juge Alexandre Boucher a décidé de mettre fin au processus, comme le demandait l'avocat de la défense, Joseph La Leggia, pour cause de délais déraisonnables. Cette requête s'appuyait sur l'arrêt Jordan, rendu l'été dernier par la Cour suprême, qui limite à 30 mois les délais pour être jugé en Cour supérieure.

Dans le cas présent, le délai était de 57 mois depuis l'arrestation. Le juge Boucher a attribué la responsabilité de presque tout le délai à la Couronne et au système de justice. Et il a conclu que le délai de transition ne pouvait pas excuser tous les délais institutionnels, dans toutes les causes.

La Couronne n'a pas encore décidé si elle fera appel du jugement Boucher, nous a-t-on indiqué au bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, lundi matin.

Extraits de ce que M. Thanabalasingham a dit

• « Je ne suis pas violent... Elle a tout inventé. »

• « Ma vie allait bien avant de me marier, je vivais bien. Je travaillais, j'avais acheté un appartement, une voiture, je payais mes taxes et tout. Après, je me suis marié, et c'est arrivé. »

• « Maintenant, je suis libre, je suis OK. Je vais acheter une maison, faire des affaires, maintenant, je suis OK. »

• « La violence contre les femmes est inacceptable. Avez-vous des remords, vous sentez-vous mal pour ça ? », lui a demandé la commissaire. « C'est sûr que je me sens mal pour ça, j'ai fait cinq ans de prison. »

Le parcours de Sivaloganathan Thanabalasingham

• 11 octobre 2004 : M. Thanabalasingham arrive au Canada à Vancouver, en demandant le statut de réfugié politique.

• 2005 : Le statut de réfugié politique lui est accordé.

• 24 février 2007 : Il devient résident permanent du Canada.

• 5 décembre 2011 : Première arrestation pour violence conjugale.

• 2 janvier 2012 : Deuxième arrestation pour violence conjugale.

• 30 mai 2012 : Troisième arrestation pour violence conjugale. Il reste détenu.

• 29 juin 2012 : Il plaide coupable et obtient sa remise en liberté en attendant le prononcé de sa peine.

• 11 août 2012 : Sa femme meurt égorgée, il est accusé du meurtre.

• 11 janvier 2013 : Il reçoit sa peine pour les dossiers de violence conjugale.

• 6 avril 2017 : Le juge Alexandre Boucher décrète l'arrêt du processus judiciaire dans le dossier de meurtre.

• 10 avril 2017 : Date prévue pour le début du procès. L'homme se retrouve plutôt devant la CISR.

Arrêt Jordan: Ottawa promet d'agir

La ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a assuré vouloir travailler étroitement avec les provinces en vue de régler les conséquences de l'arrêt Jordan, notamment la libération d'un accusé de meurtre, Sivaloganathan Thanabalasingam, la semaine dernière au Québec. Une rencontre fédérale-provinciale est prévue à la fin du mois. « Il n'y a pas une solution unique aux délais dans les tribunaux, et nous allons nous assurer de faire tout ce qui est possible pour nous coordonner », a indiqué la ministre en marge de la Chambre des communes. Une certaine confusion semble toutefois persister par rapport au nombre de sièges de juge vacants au Québec. La ministre de la Justice dit en avoir dénombré 6, alors que la province réclame 14 nouveaux postes. Le député bloquiste Xavier Barsalou-Duval a estimé qu'Ottawa faisait preuve de « négligence » en ne nommant pas plus vite de nouveaux juges à la Cour supérieure du Québec. 

- Maxime Bergeron, Ottawa, La Presse