La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a révélé hier qu'un « mentor » salafiste autour duquel gravitaient des fondamentalistes religieux montréalais ces dernières années était en fait un de ses espions, chargé d'une délicate mission d'infiltration secrète liée à la sécurité nationale.

C'est un enquêteur qui a dévoilé le rôle clé de cet « agent civil d'infiltration » lors de son témoignage au procès pour terrorisme du Montréalais Ismaël Habib.

L'agent d'infiltration, un homme dans la quarantaine, était un commerçant de l'avenue Jean-Talon et un authentique partisan du salafisme, cette vision rigoriste de l'islam qui prône une lecture littérale du Coran et un retour aux pratiques de l'époque du prophète Mahomet. Ce qui ne l'empêchait pas d'aider la police dans sa lutte contre le terrorisme.

Celui qui a seulement été désigné par le prénom « Lyes » devant la cour tenait une boutique de vêtements où se réunissaient plusieurs personnes. Il avait fait de la prison pour violence conjugale et avait acquis un statut de « mentor » auprès de certains jeunes de la communauté musulmane.

À un certain moment, il a commencé à être payé par la GRC pour son travail dans le cadre de l'enquête sur Ismaël Habib, qui fréquentait assidûment sa boutique, a expliqué à la cour l'enquêteur responsable des scénarios d'infiltration mis sur pied par la police fédérale pour piéger le jeune homme.

Aujourd'hui, comme son identité a dû être divulguée en prévision du procès, le commerçant se trouve sous protection policière. Le policier qui témoignait n'était pas en mesure de dire ce matin si l'agent d'infiltration avait participé à des enquêtes sur d'autres suspects de terrorisme.

« M. Lyes nous aidait à rapporter des informations, mais n'était pas directement lié à la création de nos scénarios. »

- Extrait du témoignage de l'enquêteur de la GRC

Le vendeur de vêtements rencontrait ses contrôleurs policiers chaque semaine, fournissait les informations demandées et un bilan de ses contacts avec Habib, puis recevait sa paye.

Joint hier par La Presse, son ancien propriétaire, Mostafa Asfour, a confirmé que Lyes avait disparu l'an dernier sans laisser de traces. « Il s'est enfui et il me devait encore de l'argent », a-t-il laissé tomber, visiblement irrité.

ATTIRÉ DANS UN PIÈGE

En prison, avant de commencer à travailler pour la police, le commerçant avait rencontré un vrai criminel nommé Plouffe qui était apparemment capable d'obtenir de faux documents d'identité. Il en avait d'ailleurs parlé à Ismaël Habib. Les policiers ont saisi la balle au bond et décidé de faire jouer le rôle de ce « Plouffe » par un enquêteur qui pourrait ainsi faire avouer à Habib ses projets de voyage.

« Nous avons emprunté le nom de Plouffe et donné son identité à notre agent. »

- Extrait du témoignage de l'enquêteur responsable des scénarios d'infiltration

Le fameux Lyes a ensuite mis Habib en contact avec le policier qui se faisait passer pour Plouffe et qui disait pouvoir l'aider dans ses éventuels projets de voyage, même si les autorités le surveillaient et l'empêchaient de prendre l'avion.

Sans savoir qu'il parlait à un policier et qu'il était enregistré, Habib lui a avoué avoir passé trois mois en Syrie auprès de combattants et chercher à retourner là-bas auprès du groupe État islamique pour faire le djihad et « purifier » la Syrie.

Lyes a aussi remis des appareils électroménagers qu'Habib a entreposés chez ses beaux-parents, selon la preuve présentée au procès. Des appareils de surveillance de la police étaient dissimulés dans ces appareils. Le commerçant a également fourni à Habib un appartement meublé lorsqu'il s'est retrouvé sans logement. L'appartement avait été soigneusement choisi par la police et permettait de tenir le suspect à l'oeil.

UN INTÉRÊT PÉCUNIAIRE ?

En contre-interrogatoire, l'avocat de l'accusé, Me Charles Montpetit, a souligné que Lyes aurait pu avoir intérêt à exagérer certaines informations sur Habib afin de se rendre intéressant et de continuer à être payé par la GRC. Le témoin a dit n'avoir jamais eu d'indication à cet égard.

Il a souligné que tous les scénarios d'infiltration étaient encadrés très strictement. « Dans ce genre d'opération, nous ne sommes pas à la recherche d'un aveu, mais nous sommes à la recherche de la vérité », a-t-il assuré.

Habib, 29 ans, est le premier adulte canadien à être jugé en vertu de l'article 83.181 du Code criminel, pour avoir quitté ou tenté de quitter le pays afin de participer aux activités d'un groupe terroriste. Il est aussi accusé d'avoir fait une déclaration fausse ou trompeuse en vue d'obtenir un passeport.

Son procès reprendra en janvier.