Dans les mois précédant son arrestation, le Montréalais Ismaël Habib était tellement certain d'être écouté par la police qu'il ne parlait pratiquement plus à haute voix dans son appartement. Il écrivait ce qu'il avait à dire sur une feuille de papier avant de la brûler, a raconté l'ancienne fréquentation du suspect lors de la première journée de son procès, lundi, au palais de justice de Montréal.

Habib, 29 ans, est le premier adulte canadien à avoir un procès en vertu de l'article 83.181 du Code criminel, pour avoir quitté ou tenté de quitter le pays afin de participer aux activités d'un groupe terroriste. Il est aussi accusé d'avoir fait une déclaration fausse ou trompeuse en vue d'obtenir un passeport.

Lundi, la procureure de la Couronne fédérale, Me Lyne Décarie, a fait entendre quatre témoins : une agente de Passeport Canada, deux enquêteurs au programme de passeport du ministère de l'Immigration du Canada et la femme que fréquentait Habib au moment de son arrestation.

Leurs témoignages ont révélé que l'homme, qui a été arrêté en février dernier, était sur le radar des autorités pour ses liens possibles avec des activités terroristes depuis au moins mars 2013.

Selon ce que son ancienne fréquentation a raconté, Ismaël Habib, fils d'une Québécoise et d'un réfugié afghan, était obsédé par les activités du groupe armé État islamique (EI), dont il regardait quotidiennement des vidéos. Elle affirme qu'il lui a un jour montré une vidéo d'exécution, qu'elle a refusé de regarder jusqu'au bout.

La femme - son identité est protégée par une ordonnance de non-publication, car elle a fait l'objet de menaces depuis l'arrestation du suspect - a rencontré Ismaël Habib en novembre 2015 et elle a rapidement emménagé avec lui.

UNE AUTRE FEMME EN SYRIE

Habib lui aurait dit qu'il était divorcé et que son ex-femme vivait en Algérie avec leurs deux enfants. Après quelques semaines de vie commune, la nouvelle copine a fouillé dans la tablette électronique du suspect. Elle dit avoir découvert une conversation prouvant que Habib n'était pas divorcé, que sa conjointe se trouvait en Syrie, et non en Algérie, et qu'elle discutait avec l'accusé de plans pour que ce dernier aille rejoindre sa famille dans le territoire de l'EI.

La femme s'est sentie trahie, mais elle est restée avec Habib parce qu'elle avait peur pour sa sécurité et celle de son enfant.

Le suspect aurait alors cessé de se cacher lorsqu'il parlait avec sa femme en Syrie. Cette dernière aurait un jour suggéré à son mari de « faire le djihad » au Canada et « d'acheter une arme et tirer sur des policiers ».

La témoin a aussi raconté qu'Ismaël Habib lui faisait part de ses démarches pour obtenir un faux passeport et aller rejoindre sa femme. « Pour lui, la solution était de prendre un bateau. En avion, il disait que ça ne marcherait pas parce qu'il était sous enquête », a-t-elle affirmé sous l'oeil attentif de l'accusé, vêtu d'une chemise grise et d'un t-shirt blanc, qui a pris des notes durant la journée.

Après une conversation avec sa femme, Habib aurait dit au témoin que si elle le dénonçait, il ferait exploser sa voiture avec elle et son enfant à l'intérieur. Elle est allée voir la police le jour même. 

Habib a été arrêté et est resté détenu depuis.

Dans la foulée de sa dénonciation, l'ex-fréquentation a reçu plusieurs menaces, comme l'a déjà raconté La Presse. Elle a notamment reçu un appel d'une personne qu'elle affirme être la femme de l'accusé, qui lui aurait dit : « tu crois pouvoir te battre contre ça ? », un message accompagné de la photo d'une femme complètement voilée tenant une arme automatique et d'une enfant, elle aussi voilée, qui fait un signe religieux de la main.

FAUSSE IDENTITÉ

Un an et demi plus tôt, en juin 2014, Habib aurait tenté d'obtenir un passeport en utilisant les pièces d'identité de son frère jumeau.

Mélissa Ohnona, l'employée qui a accueilli le suspect au comptoir de Passeport Canada de Laval, a remarqué que quelque chose clochait en voyant la photo sur la carte d'assurance maladie qu'il a présentée. Elle ne ressemblait pas au client devant elle. L'homme lui a aussi paru bizarre.

« Son visage avait un aspect plastique. C'est comme s'il portait de l'autobronzant. » - Mélissa Ohnona, employée de Passeport Canada

Mme Ohnona se souvient de deux autres éléments. D'abord, le jeune homme demandait un passeport valide pour cinq ans. « Habituellement, les gens demandent 10 ans, surtout quelqu'un de jeune comme lui », a-t-elle expliqué.

Ensuite, il a payé avec une carte de crédit prépayée, sur laquelle ne figurait aucun nom. Quelque chose qu'elle n'a vu que « deux ou trois fois » en 10 ans de carrière.

Le dossier a été transmis au service de sécurité, dont deux enquêteurs sont venus raconter comment ils ont confirmé, notamment à l'aide de photos, que l'homme qui avait déposé la demande était en fait Ismaël, dont le nom figure sur une liste de signalement depuis 2013 à cause de ses possibles liens avec des activités terroristes. Ce dernier ne peut pas demander de nouveau passeport avant 2019.