La cour condamne une médecin et une compagnie d'assurances à dédommager la succession d'une femme morte du cancer.

Une chirurgienne plasticienne, la Dre Michèle Tardif, et la compagnie d'assurances SSQ Groupe financier, viennent d'être condamnées conjointement à payer 50 000 $ à la succession d'une femme atteinte de cancer, qui s'est fait supprimer ses prestations d'invalidité, puis a perdu son emploi, en 2010. La réclamation atteignait au départ près de 800 000 $.

La juge de la Cour supérieure Guylène Beaugé reproche à la Dre Tardif d'avoir discrédité sa patiente auprès de la compagnie d'assurances, et à cette dernière de l'avoir soumise à une filature injustifiée. Les faits qui nous occupent se sont passés entre l'automne 2009 et juin 2010.

Denise Dubé n'a pas pu assister au procès, qui s'est déroulé entre le 6 et 21 octobre dernier, puisqu'elle était en phase terminale. Elle est morte le 19 novembre. Par contre, la juge Guylène Beaugé a pu apprécier sa crédibilité grâce à un vidéo-témoignage, enregistré avant son décès par précaution.

EMPATHIE

Mme Dubé a appris qu'elle avait un cancer en décembre 2007, alors qu'elle était adjointe administrative au Service des incendies de Montréal. Elle a subi une mastectomie. En décembre 2009, elle a entrepris une reconstruction mammaire sous les soins de la Dre Tardif. Elle a d'abord trouvé que la chirurgienne manquait d'empathie lors de l'examen pour le marquage des seins.

Après la première intervention, à l'insu de la Dre Tardif, une médecin résidente a accordé une invalidité de travail de six mois à Mme Dubé. La SSQ a tiqué, puisque c'était beaucoup plus que la norme d'un mois pour une telle intervention. Questionnée à ce sujet par le médecin de la SSQ, la Dre Tardif a dit qu'elle n'avait pas elle-même signé ce papier, et attesté que Mme Dubé n'avait pas de limitation fonctionnelle pour son travail. Elle a aussi signalé qu'elle avait déjà refusé de remplir des formulaires d'invalidité de cette patiente, car c'était injustifié. Mme Dubé s'est donc retrouvée sans prestations. La femme, qui avait des enfants, en était fort mécontente. D'autant plus qu'elle avait développé un lymphoedème à un bras.

SUSPICION

Il convient ici de signaler qu'il flottait une aura de suspicion autour de Mme Dubé. Son employeur lui reprochait son attitude et ses absences douteuses. Elle avait fait fi de plusieurs avis lui demandant de rentrer au travail. Du côté médical, il semblait y avoir eu au moins une modification non signée par le médecin sur un formulaire de congé. De plus, la SSQ avait appris que Mme Dubé avait brigué un poste de conseillère aux élections à l'automne, alors qu'elle demandait un congé d'invalidité pour une sinusite.

En avril, la SSQ a fait filer Mme Dubé pendant trois jours, mais cela ne s'est pas avéré très concluant.

Le 9 juin 2010, Mme Dubé a été congédiée par la Ville. Le lendemain, un autre médecin remplissait un rapport recommandant un arrêt de travail d'une durée indéterminée. Mais il était trop tard.

POURSUITES

Mme Dubé a ensuite poursuivi sur plusieurs fronts : la Ville pour son congédiement, son syndicat qui n'a pas contesté son congédiement, et la SSQ, pour récupérer de ses prestations. Elle a fini par se désister des deux premiers, puis a réduit sa réclamation à l'endroit de la SSQ, afin d'être entendue à la Division des petites créances, où le plafond est de 7000 $. La SSQ lui a remis un chèque de 7932 $ en 2012. Mme Dubé a ensuite entrepris le recours dont il est question ici. Dans cette affaire, elle a été représentée par Me Serge Dubé.

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Extraits du jugement

« La preuve démontre la violation illicite et intentionnelle du droit à la dignité, à l'honneur à la réputation et au respect de la vie privée de Mme Dubé. [La] Dre Tardif savait qu'elle discréditait sa patiente auprès de la SSQ et ternissait sa réputation, mais ne s'en souciait guère. Pour sa part, SSQ était consciente qu'elle brimait les droits fondamentaux de son assurée en l'assujettissant à une filature injustifiée, dans les circonstances relatées. »

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Version de Mme Dubé pour un rendez-vous: 


« Mme Dubé affirme arriver à l'heure à son rendez-vous pour 8 h 30... La Dre Tardif tarde à s'occuper d'elle. Vers 12 h 30, elle l'accueille enfin en lui demandant : "C'est quoi le problème ?" Elle ne l'examine pas, ne regarde pas son bras ni son sein... Mme Dubé lui confie ses problèmes d'assurance, mais [la] Dre Tardif hausse les épaules, roule les yeux en l'air, lui lance : "Qu'est-ce que vous voulez que ça me fasse", et ajoute "ne pas avoir de temps à perdre avec la paperasse." »

Version de la Dre Tardif, confinée dans un rapport pour le même jour: 

« Patiente agressive car insatisfaite d'attendre son RV ds salle d'attente

Insatisfaite également de ne pas recevoir de prestations d'assurance et remet la faute sur l'équipe médicale

Insiste sur le fait que c'est la faute de l'équipe médicale si ses enfants sont autistes, qu'elle a des problèmes financiers, etc...

A laissé plusieurs messages au bureau agressifs et menaçants. »