« Avant de mourir, il a sorti ses chansons. Mais mon frère n'a jamais pu réaliser ses rêves », se désole Carine Saninga. Son frère, Serge Saninga, alias Sweet-Kidd, tentait de percer sur la scène rap et s'apprêtait à retourner à l'école quand la mort l'a fauché brutalement. Le Montréalais de 21 ans a été abattu par erreur en pleine rue, en août dernier. Deux personnes ont été accusées de meurtre prémédité, hier après-midi.

Jayson Riché-Paquet, 18 ans, et Randy Plaisir, 20 ans, arrêtés mardi soir par les enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), seraient liés à un gang de rue de l'est de Montréal. Le 22 août dernier, un des deux hommes aurait ouvert le feu, à partir de leur véhicule, sur Serge Saninga, alors qu'il marchait à l'angle de la 25e Avenue et du boulevard Robert, dans le quartier Saint-Michel. Ceux-ci croyaient abattre un autre homme appartenant à un gang de rue rival, selon nos informations.

« La famille est bouleversée. On ne s'est jamais remis de la mort de notre frère », raconte Carine Saninga. Malgré la peine, la jeune mère de 22 ans s'efforce de rester forte pour sa petite fille et ses cinq frères et soeurs âgés de 3 à 18 ans. Elle soutient aussi sa mère, malade et dévastée depuis la mort tragique de Serge. 

« C'est difficile, c'est très, très difficile. Personne ne travaille à la maison. Je n'arrive pas à retourner à l'école. On voit des psychologues tous les jours, on a peur de sortir dehors. On se sent comme si on n'était pas en sécurité. »

Pourtant, la famille de huit personnes, dont six enfants, s'était installée au Québec en décembre 2006 pour fuir la violence qui déchirait la République démocratique du Congo. « On a fui la guerre chez nous. J'ai vécu la guerre, j'ai vu des milliers de personnes mourir par la guerre. Voir mon frère mourir par une balle, c'est quelque chose que je ne vais jamais oublier. Ça ne va jamais, jamais s'effacer dans nos coeurs », raconte Carine Saninga, atterrée.

Pas lié à un gang de rue

Selon les policiers, Serge Saninga ne faisait pas partie d'un gang de rue. Toutefois, il avait eu des démêlés avec la justice avant de mourir. À l'été 2014, il avait été accusé d'agression armée. Sa cause n'avait cependant pas été entendue au moment de l'attentat. Selon la famille, ces accusations sont sans lien avec des activités criminelles. Le jeune homme s'était interposé entre deux personnes de son entourage pendant un conflit.

Serge Saninga n'était affilié à aucun gang de rue et n'avait aucune mauvaise fréquentation, martèle sa soeur. Quand il ne travaillait pas avec son père, le jeune homme se consacrait principalement à son grand rêve : vivre de sa musique. « Sa passion était d'être musicien, il adorait chanter. Il disait toujours : le jour où j'aurai de l'argent, j'aiderai des gens en Afrique. Il était quelqu'un de bien. »

Sous son nom d'artiste Sweet-Kidd, Serge Saninga écrivait en anglais des chansons positives sur sa vie et sa communauté, comme sa dernière oeuvre, la poignante ode à sa mère Momma is a Soldier (Ma mère est une soldate).

Sa chanson introspective How I Feel, publiée quelques mois avant sa mort, semble maintenant quasi prémonitoire. « J'ai 21 ans, mais cette vie que j'ai maintenant. On dirait que chaque fois que je me relève, ils ne font que me descendre. [...] Ce qui me tue le plus, c'est que des étrangers montrent de l'amour alors que les gens avec qui j'ai grandi ne font que haïr. [I'm 21. But this life that I'm living now. It feels like... every time I'm up, they just put me down. [...] What kills the most is that strangers show love while the people I grew up with been hatin on low.]

Carine Saninga ne mâche pas ses mots contre les deux accusés, qui sont restés détenus au terme de leur comparution, hier, au palais de justice de Montréal. « Ces gens-là sont méchants, ils n'ont pas de coeur. Comment peux-tu tuer une personne que tu ne connais pas, juste parce que tu as le plaisir de tirer sur quelqu'un ? Ces personnes vont être en prison, mais elles vont vivre. Mais mon frère, il n'est plus là », rage-t-elle.

L'aînée de la fratrie veut maintenant que « justice soit faite » à l'endroit des deux accusés. Par contre, sa mère et elle craignent d'être victimes de représailles de la part du gang de rue des accusés. « On ne sait pas s'ils vont essayer de se venger. Quand on va aller en cour, qu'est-ce qui va se passer ? Est-ce qu'on va être attaqués ? », s'inquiète-t-elle. Sa famille désire maintenant déménager dans un autre quartier.

Le meurtre de Serge Saninga était le 17e homicide de l'année 2015 sur le territoire du SPVM. De nombreux meurtres et tentatives de meurtre liés aux gangs Bleus et Rouges sont survenus l'été dernier à Montréal-Nord et dans le quartier Saint-Michel, dans le nord-est de Montréal.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Serge Saninga