Si ses parents ne l'avaient pas dénoncé à la police, le Montréalais de 16 ans reconnu coupable, hier, de crimes liés au terrorisme se serait envolé vers la Syrie pour grossir les rangs du groupe État islamique.

Et il serait sans doute mort aujourd'hui.

«En alertant les autorités, ses parents lui ont probablement sauvé la vie», a souligné la juge Dominique Wilhelmy dans son jugement étoffé rendu, hier, en Chambre de la jeunesse de Montréal devant une salle bondée de journalistes et d'enquêteurs de police.

Le père du garçon, qui a assisté à tout le procès, a gardé les yeux au sol, bras croisés, durant une bonne partie de l'audience. Assis dans le box des accusés, son fils n'a jamais jeté un regard dans sa direction.

Vêtu d'un polo et de chaussures sport à la mode, le garçon à l'air grave n'a pas bronché lors du prononcé du verdict.

«Cette triste histoire est celle d'un jeune garçon envahi par les messages de violence, de vengeance et de guerre émis par l'État islamique», a dit la juge.

Originaire d'Algérie, aîné de cinq enfants, l'accusé a immigré au Canada à l'âge de 4 ans. Son identité est frappée d'un interdit de publication.

Une première au Canada

Il s'agit du premier Canadien - tous âges confondus - condamné en vertu d'une nouvelle disposition de la Loi sur la lutte contre le terrorisme adoptée en 2013.

L'adolescent - qui avait 15 ans au moment des crimes - a été jugé coupable d'avoir voulu quitter le Canada pour participer aux activités d'un groupe terroriste à l'étranger, soit le groupe État islamique (EI), ainsi que d'avoir commis un vol qualifié en association avec cette même organisation criminelle.

«Ce dossier illustre que la lutte que l'on s'apprête à mener contre la radicalisation nécessitera non seulement des lois, mais de nombreux efforts stratégiques, a ajouté la magistrate. Notre jeunesse n'est pas à l'abri de la propagande djihadiste.»

Dès 2012, alors qu'il n'a que 13 ans, l'adolescent se met à fréquenter des sites internet de propagande de l'EI. Il vit chez ses parents, mais rompt toute communication avec eux.

Sa mère dira d'ailleurs aux enquêteurs qu'elle ne reconnaît plus son fils, devenu «comme une boîte noire».

Un livre de poche inquiétant

À l'époque, il télécharge sur son ordinateur le Lone Mudjahid Pocket Book, destiné aux gens qui veulent s'engager dans des attaques de type «loup solitaire» contre les infidèles, leur suggérant, par exemple, de causer des accidents d'auto, de détruire des édifices, expliquant comment assembler et manipuler un fusil, un AK-47, et comment utiliser le programme de chiffrement afin de communiquer de façon sécuritaire avec les autres djihadistes, a indiqué un expert de la GRC plus tôt au procès.

L'ordinateur passé au peigne fin par la police contenait aussi des numéros de la revue Inspire, des «instruments de propagande produits par l'organe médiatique officiel d'Al-Qaïda», toujours selon cet expert de la GRC, Tarek Mokdad, à qui la juge a accordé une grande crédibilité.

«Les médias sociaux par lesquels se distribue cette propagande ont aussi leur part de responsabilité dans cet effort de soustraire nos jeunes à ce que j'appelle la "radicalisation programmée"», a indiqué la juge.

«Combien d'autres personnes lisent au moment où j'écris ces lignes, des revues Inspire ou le Lone Mujahid Pocket Book? Combien sont des loups solitaires comme Martin Couture-Rouleau et combien rêvent de migration vers l'État islamique, comme l'accusé?», se demande la juge.

En 2014, l'adolescent a entretenu des liens, par l'intermédiaire de Twitter notamment, avec un dénommé El Sami, Montréalais à qui on impute une agression à Pierrefonds et qui est parti faire le djihad en Syrie. L'accusé a aussi échangé avec Martin Couture-Rouleau, auteur de l'attentat de Saint-Jean-sur-Richelieu.

Il a également volé le numéro de carte de crédit de son père et tenté d'envoyer de l'argent par Western Union à une association libanaise soutenant les opposants au régime de Bachar al-Assad. Ses parents ont alors remplacé leurs cartes de crédit.

«Je vais participer aux combats en Syrie, là, d'une façon ou d'une autre», dira-t-il à son père selon ce que ce dernier rapportera plus tard à la police.

Aller simple vers le djihad

Quelques mois plus tard, le jeune homme tente d'acheter avec la nouvelle carte de crédit de son père, sur l'internet, un aller simple Montréal-Gaziantep (en Turquie). Départ le jour même. La transaction a été bloquée par la banque. Son père l'abordera alors de front: «C'est pas un combat [...], c'est du terrorisme, ça. [...] Tu vas pas aller en paradis, là, en mourant là. Tu vas tuer des innocents. Tu vas faire des crimes, là.» Son fils ne lui répondra pas.

À l'été 2014, le père a confisqué le passeport canadien de son fils ainsi que son ordinateur pour l'empêcher d'accéder à la propagande de l'EI.

Puis en octobre, l'adolescent a été arrêté après avoir commis un vol à la pointe du couteau dans un dépanneur de Montréal.

Interrogé par la police, l'adolescent décrira les fruits de son vol comme un «butin de guerre» pris à des «mécréants» dans un pays qui «massacre ses soeurs et ses frères» musulmans en Irak et en Afghanistan.

Le jeune Montréalais a rapidement plaidé coupable à une accusation de vol qualifié. En décembre 2014, la Couronne fédérale déposera contre lui de nouvelles accusations beaucoup plus graves de terrorisme pour lesquelles il plaidera non coupable.

Au procès, la défense a plaidé que son client était confus, «victime d'une propagande nauséabonde» et qu'on ne pouvait accorder d'importance à ses propos - des propos maladroits d'un enfant de 15 ans qui ne comprend pas le sens des mots.

Le juge a balayé cet argument d'un revers de main. «L'adolescent n'est aucunement confus [...]. Ses idées sont remarquablement bien structurées et exprimées. Il est vigilant, éveillé et déterminé», conclut la juge.

Une famille éprouvée

À sa sortie de la salle d'audience, la procureure de la poursuite, Me Marie-Ève Moore, a tenu à souligner à son tour le courage dont a fait preuve la famille de l'accusé «qui vit des moments difficiles présentement».

«Considérant qu'il s'agit d'un adolescent, nous allons devoir favoriser sa réhabilitation, sa réinsertion sociale, tout en maintenant la protection du public», a dit la jeune procureure d'un ton chargé d'empathie.

L'accusé devra se soumettre à une évaluation psychologique. À la lumière des conclusions, la poursuite décidera ensuite si elle recommande ou non une peine pour adultes.

S'il est assujetti à une peine pour adultes, le jeune Montréalais est passible d'une peine de prison à vie. Il doit retourner devant la cour en janvier. Son père ainsi que ses avocats - Mes Tiago Murias et Sébastien Brousseau - ont quitté le tribunal sans s'adresser aux médias présents.