Le sénateur Mike Duffy dit avoir demandé au premier ministre Stephen Harper de le nommer sénateur indépendant de l'Ontario, mais M. Harper aurait refusé d'accéder à cette demande.

M. Duffy a entamé hier sa première journée de témoignage à son propre procès pour fraude, abus de confiance et corruption d'un fonctionnaire qui a débuté il y a huit mois au palais de justice d'Ottawa. Il est le premier témoin appelé à la barre par l'avocat de la défense, Donald Bayne.

L'ancien journaliste vedette a expliqué que le groupe de sénateurs nommé avec lui au début de l'année 2009, qui comprenait des Canadiens connus comme Pamela Wallin, Patrick Brazeau et Nancy Green Rayne, se voulait en quelque sorte un argument de vente pour permettre au Parti conservateur d'obtenir une majorité aux élections suivantes.

«Beaucoup de gens avaient des doutes à l'égard de M. Harper, ils ne lui faisaient pas confiance, a-t-il expliqué. Ce [que les conservateurs] cherchaient à faire était de fournir une forme de validation provenant d'une tierce partie pour présenter Stephen Harper comme une personne en qui les Canadiens pouvaient avoir confiance.»

Au cours d'une série de rencontres qui se sont déroulées à la fin de l'année 2008, alors que M. Duffy avait sa propre émission sur la politique fédérale à CTV, M. Duffy dit avoir soulevé des préoccupations à l'égard d'une nomination à l'Île-du-Prince-Édouard, puisque «les gens s'attendent à ce que la nomination aille à un pilier conservateur et ils ne seront pas contents».

«Ils vont s'y faire», aurait été la réponse du premier ministre.

Deux jours après la nomination de M. Duffy, un article était publié dans le Guardian de Charlottetown citant un expert qui remettait en question la constitutionnalité de cette nomination. En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, les sénateurs sont tenus d'être «domiciliés» dans la province pour laquelle ils sont nommés.

Mike Duffy, qui est né et a grandi à l'Île-du-Prince-Édouard, réside à Ottawa depuis les années 70. Il prévoyait retourner vivre dans sa province d'origine à sa retraite, a-t-il expliqué à la Cour et au premier ministre Harper. Ce dernier lui aurait recommandé d'«accélérer» ce déménagement, de manière à être habilité à devenir sénateur de cette province.

Le sénateur fait face à 31 chefs d'accusation de fraude, abus de confiance et corruption de fonctionnaires. Ces accusations visent ses frais de logement, de déplacement et de bureau ainsi que l'acceptation d'un paiement de 90 000$ par l'ex-chef de cabinet de M. Harper, Nigel Wright.

Certains des frais en question ont été réclamés parce que Mike Duffy avait toujours affirmé que sa résidence principale était à l'Île-du-Prince-Édouard, et non à Ottawa.

L'avocat Donald Bayne a ouvert son interrogatoire en questionnant le témoin sur ses racines profondes dans la province atlantique et sur son parcours personnel et professionnel. M. Duffy a étouffé un sanglot lorsqu'il a évoqué sa relation avec les deux enfants issus de son premier mariage, qu'il a perdus de vue lorsque sa femme a demandé le divorce à la fin des années 70. «C'est ma faute, j'ai travaillé trop fort», a-t-il dit. Une «décennie perdue» a suivi, a relaté le sénateur, où il a passé trop de temps dans les bars pour fuir la solitude, pris 60 livres et s'est demandé comment allaient ses enfants chaque fois qu'il passait devant une cour d'école.