Guy Turcotte n'avait pas le cerveau aussi malade que la défense le prétend, au moment où il a tué ses enfants. Il a réalisé qu'il leur faisait mal, et il a continué quand même. C'est, entre autres, ce que le procureur de la Couronne René Verret a tenté de faire ressortir, vendredi, en poursuivant avec pugnacité son contre-interrogatoire de la psychiatre Dominique Bourget.

La Dre Bourget est la psychiatre retenue par la défense pour évaluer l'état d'esprit de M. Turcotte au moment des faits, dans le cadre d'une défense de non-responsabilité criminelle. Elle a conclu que M. Turcotte n'avait plus la capacité d'apprécier la nature et les conséquences de ses gestes, quand il a poignardé ses enfants, en février 2009.

Un trouble d'adaptation avec anxiété et humeur dépressive, un raptus suicidaire, et l'ingestion de méthanol, lui auraient enlevé son libre arbitre. Elle a rendu deux rapports à ce sujet, un en 2011, avant le premier procès, et un second, appelé rapport complémentaire, il y a quelques jours. Me Verret voit des failles dans l'un et dans l'autre.

Méfiance

D'abord, il trouve que la psychiatre s'est fiée aux dires de M. Turcotte sans se méfier, tout en négligeant des informations importantes provenant de d'autres sources. Par exemple, dans le dernier rapport, la Dre Bourget a écrit qu'en mars 2009, alors qu'il était incarcéré à l'Institut Philippe-Pinel, M. Turcotte était incapable de se concentrer, et ne pouvait lire que des romans jeunesse. Or, dans les notes datées du 17 mars 2009 du psychiatre Jacques Talbot, qui traitait M. Turcotte à l'époque,il était mentionné que celui-ci disait lire sur  l'art précolombien, les pays de l'Est et l'histoire chinoise. C'était un moyen pour lui de fuir la réalité, les sombres pensées.

Autre exemple, sur lequel insiste Me Verret: si Guy Turcotte «faisait abstraction de son environnement»  parce qu'il ne pensait qu'à se suicider, le soir du 20 février 2009, comme le soutient la psychiatre Bourget, comment expliquer qu'il a pensé à téléphoner, vers 20h30, pour annuler les rendez-vous du lendemain avec l'agent d'immeuble et  la gardienne des enfants.

«M. Turcotte ne se souvient pas d'avoir parlé avec l'agent d'immeubles», a répondu la Dre Bourget, et elle ignore à quelle heure il a commencé à boire du lave-vitre. «Ce n'est pas mon rôle de spéculer.» Pour elle, ces appels ne changent pas grand'chose.

Par ailleurs, Guy Turcotte raconte lui-même qu'il a réalisé qu'il faisait mal à Olivier, en donnant les premiers coups de couteau. Il dit qu'il a paniqué et a continué. Le même scénario s'est reproduit dans la chambre d'Anne-Sophie. En plus, pendant qu'il était là, il  entendait son fils mourir dans son sang. C'est ce qu'il a raconté à Luc Tanguay, qu'il considérait comme son coach de vie, le 7 mars 2009, à Pinel.

C'est donc que M. Turcotte réalisait ce qu'il faisait, soumet Me Verret.

Ce n'est pas l'avis de la psychiatre qui évalue qu'il était en perte de contrôle, et qu'il n'était «plus capable de prendre une décision rationnelle d'arrêter. Son cerveau ne fonctionnait pas bien, et il n'était pas en mesure d'agir autrement que comme il a agi.» Me Verret a poursuivi sur sa lancée, en donnant d'autres exemples, triés dans les rapports. Est-ce que Guy Turcotte a des souvenirs, ou des flashs? Il a aussi fait valoir que beaucoup de gens se séparent, à tous les jours, sans que ça finisse en drame. Le procureur suggère que Guy Turcotte fonctionnait relativement bien après avoir été libéré de l'Institut Philippe-Pinel, en décembre 2012. Ce n'est qu'en novembre 2013, après qu'un nouveau procès a été ordonné et qu'il a dû se livrer aux autorités, qu'il a replongé dans ses difficultés.

Le procès se poursuivra lundi, avec la suite du contre-interrogatoire de la Dre Bourget.

Le procès pourrait durer encore deux à trois semaines avant que le jury entreprenne ses délibérations. C'est l'évaluation que le juge André Vincent a faite cette semaine, et qu'il a communiquée au jury. Les jurés voulaient savoir, pour arranger leur agenda.