En l'absence d'attaches familiales et de possessions à son nom, la police a dû filer Daegun Chun pour savoir où il habitait. Estimant que «l'insaisissable» M. Chun vit comme un «fantôme» au Canada, la juge Isabelle Rheault a décidé, il y a quelques jours, de poursuivre sa détention en attendant son procès pour proxénétisme et gangstérisme.

Chun, 46 ans, qui demeure à Toronto, a été arrêté et conduit à Montréal au début d'avril, pour être accusé avec d'autres dans une affaire de réseau de prostitution qui impliquerait des clandestins asiatiques au Canada. L'enquête se poursuit, et il n'est pas exclu que d'autres accusations soient déposées.

Faux visas

Lors d'une perquisition au domicile de Chun, à Toronto, la police a trouvé toutes sortes de documents et d'instruments pour fabriquer de faux visas, a relevé la juge Rheault. Il y avait également 30 625$ dissimulés dans une boîte, plus de 1000 chèques gouvernementaux émis à différents noms et une dizaine de boîtes de documents faisant référence à des femmes asiatiques nées entre 1980 et 1999. Dans un bureau qu'il occupait dans un collège privé de Toronto, les policiers ont trouvé 34 documents officiels d'immigration et les baux de location de divers sites. Il appert que les jeunes femmes qui faisaient de la prostitution étaient installées dans des appartements.

Parasitaire

Chun est arrivé au Canada en 1994. Il est résident permanent. Il dit travailler au Northern Lights Preparatory College, mais était prêt à ne pas y retourner pour recouvrer sa liberté, comme le suggérait son avocat, Me Guillaume Langlois. Le pasteur d'une église méthodiste de Toronto était quant à lui disposé à déposer 20 000$ et à s'engager à avancer la même somme pour faire libérer M. Chun.

Le procureur de la Couronne, Gianni Cuffaro a fait valoir de son côté que M. Chun avait une «relation parasitaire» avec son pays d'adoption. Un formulaire T4 de 2012 faisait état de revenus de 5000$ pour M. Chun. Pourtant, il a une dizaine de comptes à la Banque Shihan Canada, un autre en Corée et deux reliés au collège. De 2010 à 2015, près d'un million aurait transité dans ses comptes, selon un relevé de CANAFE (Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada.) Des dépôts ont été faits à partir de 51 succursales de la Banque TD, dans 22 villes, réparties dans 4 provinces canadiennes.

Pas un tigre

L'enquête sous cautionnement de M. Chun a duré deux jours et tout était traduit en coréen. Il semble qu'il n'y avait ni violence ni contrainte. Dans le cadre de l'enquête, des agents du réseau ont décrit M. Chun comme «une hyène» dans l'organisation, et non pas un «tigre.» Le tigre est puissant, il est au sommet, tandis que la hyène «utilise le monde pour faire de l'argent», a relevé la juge, avant de dire que son rôle demeurait important. Elle a gardé M. Chun détenu.

La juge a rappelé que le Parlement avait modifié le Code criminel en 2014 en matière de prostitution, afin de protéger les victimes, notamment des femmes et des enfants.

Lors des arrestations, début avril, la GRC avait indiqué avoir démantelé deux cellules clés d'un réseau de prostitution pancanadien exploité par une organisation criminelle internationale de souche asiatique. L'opération s'est déroulée à Montréal et à Toronto. Les femmes utilisées proviendraient de la Corée et de la Chine. Les accusations visent la période comprise entre février 2014 et le 26 mars dernier.

Les accusés reviennent en Cour le 29 avril pour la suite des procédures.