Fait rare dans les annales judiciaires au Québec, la Couronne demande à une juge de cesser de présider l'enquête préliminaire de six personnes accusées de trafic de stupéfiants qui doit se dérouler toute la semaine au palais de justice de Montréal.

La poursuite déposera ce matin à l'encontre de la juge Isabelle Rheault de la Cour du Québec un bref de prohibition qui sera présenté en Cour supérieure et qui vise à l'empêcher de continuer de présider l'enquête préliminaire.

Les six personnes visées par cette enquête ont été arrêtées il y a un an dans le cadre d'une opération de la Division du crime organisé de la police de Montréal baptisée Abri, visant un réseau de distribution et de trafic de drogue lié à une branche de la mafia montréalaise installée dans le quartier Rivière-des-Prairies. Lors de la frappe, les enquêteurs ont effectué la plus grosse saisie de crystal meth de l'histoire du Québec, soit 15 kilos, et 100 kilos de cocaïne. Une ordonnance de non-publication nous empêche toutefois de dévoiler la preuve entendue jusqu'à maintenant.

Trois des six accusés sont détenus : Soninder Dhingra, Jean-Philippe Guérette et Richard Desrosiers. Ce dernier est un ancien voleur de banque qui s'était réhabilité en s'impliquant dans Option Vie, un organisme qui aide les détenus condamnés à vie à se reprendre en main. M. Desrosiers a souvent témoigné au palais de justice de Montréal, où l'annonce de son arrestation a suscité la consternation.

Mauvais départ

La partie de bras de fer entre la juge Rheault et la Couronne a commencé aux premières minutes de l'enquête, lundi, lorsque la procureure, Me Marilène Laviolette, a annoncé que ses deux premiers témoins seraient une coaccusée, Jenny Lacoursière, et un policier de la GRC censé venir parler de la nouvelle arrestation de Dhingra, pourtant en liberté sous caution, dans la saisie de 182 kg de cocaïne impliquant une douanière du poste de Saint-Bernard-de-Lacolle le 2 décembre dernier.

Les trois avocats de la défense, Me Danièle Roy, Me Claude Olivier et Me Marc Labelle, ont bondi, affirmant ne jamais avoir été prévenus de ces témoignages. La juge leur a donné raison dans un premier temps.

Une policière de la filature a finalement agi comme premier témoin, mais les avocats de la défense ont dénoncé le fait que son calepin de notes était passablement caviardé. La juge a exigé que 39 pages non caviardées lui soient remises, ce à quoi Me Laviolette s'est opposée. Cette dernière a alors avisé une supérieure de la situation et c'est à ce moment qu'une autre procureure de la Couronne, Me Isabelle Grondin, a annoncé la signification d'un bref de prohibition. La juge Rheault a alors lancé des mots très durs à son endroit, faisant dire à plusieurs personnes présentes dans la salle « qu'elles n'avaient jamais vu ça ». L'affaire se poursuit ce matin.