Pour la première fois au Canada, un citoyen vient d'être accusé au criminel d'avoir tenté de quitter le pays afin de participer à une activité terroriste à l'étranger en vertue de la nouvelle Loi sur la lutte contre le terrorisme. Le Montréalais, qui n'a que 15 ans, a volé 2000$ dans un dépanneur à la pointe du couteau pour, disent les autorités, financer son voyage vers le djihad.

La semaine dernière, La Presse révélait l'histoire de cet adolescent que la loi nous interdit d'identifier parce qu'il est mineur et qui est détenu dans un Centre jeunesse depuis qu'il a plaidé coupable à des accusations de vol en octobre.

Lors d'un interrogatoire de police, le jeune maghrébin d'origine avait raconté que l'argent dérobé devait lui servir à s'acheter un billet d'avion vers un pays soumis à la loi islamique. Il avait refusé de préciser lequel.

L'adolescent disait vivre dans le péché parce qu'il ne réside pas dans un pays musulman. Il aurait décrit aux policiers le Canada comme un pays d'infidèles.

S'estimant en guerre, le garçon considérait qu'il avait des raisons légitimes de s'emparer du «butin» de ses ennemis.

Les enquêteurs ont aussi établi qu'il entretenait des liens sur le réseau Facebook avec Martin Couture-Rouleau, auteur d'un attentat contre des militaires à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Hier, le jeune homme était de retour devant un juge du tribunal de la jeunesse pour répondre à une accusation d'avoir tenté de quitter le Canada dans le but de participer à une activité d'un groupe terroriste.

Il s'agit de la première fois au pays qu'une telle accusation est portée depuis que la nouvelle Loi sur la lutte contre le terrorisme a été adoptée en juillet 2013 (voir capsule).

Le changement législatif fait d'un crime le simple fait de quitter le Canada ou de tenter de le faire pour commettre des actes terroristes (article 83.181).

En mai, le Canadien d'origine somalienne Mohamed Hassan Hersi, 28 ans, a été condamné pour un crime semblable en vertu d'un ancien article de loi. Il avait tenté de rallier le mouvement des islamistes somaliens shebab et avait été arrêté en mars 2011 à l'aéroport de Toronto, où il devait embarquer dans un vol pour Le Caire puis rejoindre la Somalie.

Non coupable

Hier, l'adolescent montréalais de 15 ans a aussi été accusé d'avoir tenté de financer un acte terroriste.

Il risque des peines de 10 ans de prison. Il a plaidé non coupable aux deux chefs d'accusation. Lors de son bref passage en cour, le garçon, cheveux rasés, vêtus d'un pantalon et d'un chandail de jogging, a gardé les yeux rivés au sol. Il n'a pas regardé son père, assis au premier rang dans l'audience.

C'est ce dernier qui, inquiet de son comportement de plus en plus radical, l'a dénoncé à la police.

Un comportement inquiétant

Le 11 octobre dernier, le jeune homme est entré dans un dépanneur de l'Ouest-de-l'Île, le visage couvert d'un foulard. Il a sorti un long couteau avant de réclamer le contenu du tiroir-caisse. Le propriétaire a déposé environ 2200$ dans un sac.

Ce soir-là, son père a soupçonné que quelque chose ne tournait pas rond chez son fils. Sorti de chez lui avec un sac à dos, l'ado est rentré vers 22h sans son sac. Le père a retrouvé celui-ci dissimulé dans la cour arrière avec l'argent à l'intérieur.

Le père, un musulman modéré, a questionné son fils, mais ce dernier a nié avoir commis un crime. Il a alerté les autorités, qui sont allées arrêter son fils pendant qu'il était à l'école dans un réputé collège privé montréalais.

«J'ai juste fait mon devoir de citoyen. Je ne veux pas de médaille», a dit l'homme qui a accepté de s'entretenir brièvement avec La Presse la semaine dernière. Il a décliné notre demande d'entrevue, hier au tribunal.

Selon nos informations, la GRC a passé l'ordinateur de son fils au peigne fin. Des vidéos de propagande djihadiste ont été saisies.

Le garçon sera soumis à une évaluation psychiatrique dans le prochain mois. Il reste détenu.

En bref

> La nouvelle Loi sur la lutte contre le terrorisme est officiellement entrée en vigueur en juillet 2013.

> Le gouvernement conservateur avait déposé un projet de loi en avril 2013 dans la foulée des attentats au marathon de Boston qui a fait trois morts et quelque 180 blessés. La secrétaire parlementaire Candice Bergen avait déclaré que ces événements démontraient que le terrorisme demeurait une «menace réelle».

> Le projet de loi a été adopté par 183 voix contre 93 à la Chambre des communes. Les députés conservateurs et libéraux ont approuvé la mesure, tandis que le Nouveau Parti démocratique et les autres partis ont voté contre.

> La loi rétablit certaines dispositions du Code criminel qui ont été en vigueur entre 2001 et 2007 (adoptée après le 11-Septembre), de manière à permettre la détention préventive, la liberté surveillée ou l'imposition de témoigner. Par exemple, s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une personne détient des informations sur une infraction liée au terrorisme, la cour peut la forcer à comparaître.

> La loi inclut aussi quatre nouvelles infractions qui visent le fait de quitter le Canada ou de tenter de le faire pour commettre certaines infractions terroristes.

> Hier, un Montréalais de 15 ans a été le premier Canadien à être accusé en vertu de ces nouvelles infractions.