Un célèbre avocat new-yorkais, qui s'était fait connaître pendant la crise d'Oka en se joignant à l'organisation paramilitaire des Warriors, aurait mené sa carrière sous le feu des projecteurs tout en tirant secrètement les ficelles d'une organisation qui inondait les États-Unis de cannabis canadien. Voilà la théorie explosive et controversée avancée par le camp du Québécois Jimmy Cournoyer devant un tribunal américain, lundi.

La théorie a surpris le procureur fédéral américain au dossier, et pour cause: il est plutôt rare de voir un accusé se défendre en accusant un juriste bien en vue d'être le chef secret d'une organisation criminelle.

Jimmy Cournoyer est ce Lavallois au train de vie de jet-setter qui pourrait être condamné à la prison à vie, à New York, pour avoir exporté pour près de 1 milliard de dollars de cannabis aux États-Unis. Les autorités le présentent comme le chef d'une organisation qui exportait la drogue par la réserve mohawk d'Akwesasne, territoire chevauchant la frontière canado-américaine.

Dans sa requête visant l'arrêt du processus judiciaire, l'avocat de Cournoyer, Gerald McMahon, admet que la drogue a traversé la frontière, mais lance un pavé dans la mare: «Les maîtres d'oeuvre de cette entreprise criminelle de 1 milliard de dollars ne sont pas Jimmy Cournoyer et ses associés, comme le prétend le gouvernement», écrit-il.

Selon Me McMahon, les vrais cerveaux sont David Sunday et Kenneth Cree, deux Mohawks d'Akwesasne qui ont déjà plaidé coupables dans cette affaire et qui collaboreraient maintenant avec le gouvernement, ainsi que leur avocat, Stanley Cohen.

Un juriste très médiatisé

Cohen est un avocat très connu aux États-Unis pour avoir défendu des personnes soupçonnées de terrorisme et des groupes qualifiés de terroristes, comme le Hamas et le Hezbollah. En 1990, il a fait les manchettes au Québec. Il conseillait alors les Warriors dans leurs négociations avec les autorités québécoises, au plus fort de la crise autochtone.

Il fait aujourd'hui face à des accusations d'évasion fiscale, mais n'a jamais été accusé de quoi que ce soit en lien avec la drogue.

Le camp Cournoyer dit toutefois détenir des informations qui l'impliquent dans les activités de ses clients. Cohen a représenté au moins huit personnes issues d'Akwesasne qui auraient été impliquées dans le même commerce de marijuana que Cournoyer.

«Pendant plus de 10 ans, Cohen a utilisé sa position d'avocat-criminaliste praticien de la défense pour faire progresser les intérêts de l'entreprise [criminelle] et de ses associés», affirme l'avocat de Cournoyer. Celui-ci croit que Cohen et les accusés d'Akwesasne ont décidé de jeter le blâme sur Cournoyer afin d'échapper à des peines de prison plus lourdes.

Jouer sur les deux tableaux

Cohen aurait été le maître d'oeuvre de cette diversion: comme avocat de la défense, il menait des négociations avec la poursuite, obtenait de l'information privilégiée et pouvait coordonner une stratégie de délation auprès de certains coaccusés de bas niveau.

Il aurait aussi représenté temporairement un complice allégué de Cournoyer, ce qui lui donnait accès à la preuve contre le Québécois en même temps qu'il négociait des ententes pour ces «délateurs probables».

«Sciemment ou non, le gouvernement s'est permis d'être utilisé par Cohen, et cette poursuite [contre Cournoyer] est le résultat de cette duplicité», précise la requête.

«Stanley Cohen a, pendant des années, manqué à ses responsabilités envers ses clients en les conseillant d'une façon qui servait ses intérêts et ceux de l'entreprise [criminelle] plutôt que leurs intérêts. Le gouvernement a favorisé ce comportement corrompu en tirant avantage des délateurs et des causes que Cohen leur fournissait», poursuit le document.

Il reste à voir si le camp Cournoyer pourra prouver ces accusations devant la cour.

Au moment d'écrire ces lignes, Stanley Cohen n'avait pas répondu à une demande d'entrevue de La Presse. Quant au procureur fédéral chargé de la poursuite, il a déjà annoncé son intention de combattre cette thèse et a souligné que les prétentions du camp Cournoyer se sont souvent révélées fausses par le passé.