L'opération a de quoi marquer les esprits. Hier après-midi, un Boeing 787 d'Air Canada, avec 213 passagers à son bord, a largué sa réserve de carburant dans l'atmosphère et est revenu atterrir à Montréal avec un seul moteur fonctionnel, une situation rarissime à Montréal.

Le vol AC017 est parti de Montréal à 13 h 31 en direction de Shanghai, en Chine. Dès le décollage, les passagers ont entendu des bruits qui leur paraissaient anormaux. De fait, un problème avec le moteur droit a rapidement été décelé par les pilotes.

« On voyait qu'on ne prenait pas beaucoup d'altitude. Après le décollage, le pilote a pris le micro et nous a dit qu'on avait un problème avec un moteur et qu'on serait obligés de faire un détour pour vider du carburant », a raconté le passager Daniel Boily, originaire de Québec.

« Le délestage du kérosène a duré de 25 à 30 minutes, selon moi », a rapporté à La Presse un autre passager, Josh Jacobs, qui était assis tout près de l'aile droite et qui a capté une vidéo de l'opération avec son téléphone cellulaire.

« Dans l'avion, tout le monde est resté calme. L'atterrissage s'est très bien déroulé », a-t-il ajouté.

De retour sur la terre ferme, les 213 passagers ont été évacués de l'avion et ont pu s'envoler à bord d'un nouvel avion, plusieurs heures plus tard.

Le bris

Air Canada a confirmé que les pilotes avaient éteint un des moteurs du Boeing 787 et qu'ils avaient fait demi-tour pour revenir se poser à Montréal, mais aucune information n'a été transmise concernant la nature du problème.

« L'équipage a suivi les procédures établies et éteint un moteur lorsqu'un témoin lumineux s'est allumé. [...] L'appareil subira une révision par nos services techniques et nos employés », a indiqué la porte-parole d'Air Canada Isabelle Arthur, peu de temps après les événements.

Jean LaRoche, directeur de la recherche et du développement au Centre québécois de formation aéronautique (CQFA), ignore la source du problème dans le cas présent. L'appareil - un 787-8 Dreamliner, le dernier-né de la marque Boeing - est néanmoins construit pour y faire face.

« Ces avions-là sont conçus pour voler avec un seul moteur. À la limite, il aurait pu se rendre jusqu'en Chine, assure M. LaRoche. Une panne de moteur, pour un pilote de ligne, ce n'est pas un gros défi. Dans notre jargon, on parle d'un atterrissage de précaution, plutôt que d'un atterrissage d'urgence. »

Il estime que « la vie des passagers n'a pas été en danger », bien que cet événement soit inusité.

« Un pilote de ligne pourrait faire sa carrière de 30 ans sans jamais avoir une panne de moteur et sans jamais avoir à délester de carburant », souligne M. LaRoche

Air Canada a expliqué que l'équipage avait « largué du carburant pour s'assurer que l'appareil n'était pas en surcharge de poids au moment de l'atterrissage ».

Cette mesure permet de sécuriser l'approche et de minimiser l'impact sur le frein d'atterrissage, a expliqué à La Presse Peter Noreau, un commandant retraité d'Air Canada.

« On déleste le carburant dans l'atmosphère. Normalement, à une certaine altitude - généralement en haut de 8000 pieds - le carburant s'évapore, assure le pilote à la retraite. Plusieurs milliers de litres à la minute sont délestés par des tubes contrôlés par des valves depuis le poste de pilotage. L'appareil est conçu pour ça. »

L'appareil pourrait se poser en cas d'urgence, mais quand les conditions météo le permettent, il est préférable d'alléger l'appareil qui aurait normalement consommé le carburant avant l'atterrissage, a expliqué l'expert en aviation.

La situation d'urgence

Fort de ses 24 887 heures de vol, Peter Noreau assure que l'arrêt d'un moteur est rarissime, mais ajoute que les pilotes pratiquent cette procédure d'urgence des centaines de fois en simulation.

« Ce n'est pas un coup de chance, ils sont complètement entraînés pour ça et ils ont fait ce qu'ils avaient à faire. »

M. Noreau explique que les pilotes sont formés pour appliquer les procédures d'urgence de mémoire : « On prend la décision, on l'applique, et ensuite, on sort la procédure écrite et on la relit pour s'assurer des détails de la procédure d'urgence ».

Au-delà de leur formation initiale, les pilotes reçoivent un entraînement de plusieurs mois lorsqu'ils sont appelés à prendre les commandes d'un nouveau modèle d'appareil. Ils doivent également se soumettre à des examens en simulateurs deux fois par année, explique M. Noreau.

« On est évalués par un inspecteur de Transports Canada. C'est un peu comme si on mettait notre licence sur la table chaque fois. Si ça se passe mal, notre licence peut être suspendue. »

- Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron