Vendredi, après avoir poignardé un homme dans le complexe Guy-Favreau, à Montréal, Jimmy Cloutier s'est rendu à l'Old Brewery Mission. Il a pris un café, il est sorti calmement du refuge, puis il a aperçu plusieurs policiers qui l'attendaient. Les caméras de surveillance n'ont pas pu capter la suite, mais quelques secondes plus tard, Jimmy Cloutier devenait le quatrième sans-abri en cinq ans et demi abattu par des policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Selon les renseignements préliminaires transmis au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), les policiers ont répondu à un appel pour tentative de meurtre à l'arme blanche. « À leur arrivée sur les lieux, écrit le BEI dans un communiqué, le suspect était en fuite mais aurait été retracé un peu plus loin [tenant] une arme blanche dans chaque main. Il aurait refusé de déposer les armes et aurait chargé les policiers. »

Âgé de 38 ans, Jimmy Cloutier avait plaidé coupable en 2009 à une accusation de voies de fait, mais son casier judiciaire n'était autrement pas lourd. Il avait terminé ses études secondaires, abandonné le cégep après quelques cours et entrepris quelque temps avant sa mort une formation de réintégration en emploi.

ESPOIR

Jusqu'à vendredi, il n'était pas un criminel réputé très dangereux ni quelqu'un qui aurait été échappé par le système, explique Matthew Pearce, président et chef de la direction de l'Old Brewery Mission.

M. Cloutier a eu recours aux services de ce refuge à quelques reprises entre 2005 et 2010. De décembre 2011 à août 2012, il a habité de façon continue à son satellite de Verdun, la maison Claude-Laramée, qui, avec l'appui de l'hôpital Douglas, accueille des sans-abri vivant avec des troubles graves de santé mentale.

« Dès son arrivée, il avait déjà fait un cheminement certain et l'équipe qui l'entourait avait espoir qu'il se tirerait d'affaire », explique Nadine Van Elslande, qui dirige la maison Claude-Laramée.

Même s'il présentait encore des traits antisociaux et que la partie n'était pas encore gagnée, M. Cloutier, qui souffrait à la fois de troubles mentaux et de problèmes de consommation, a été jugé suffisamment stable en 2012 pour vivre de façon autonome dans une chambre, poursuit Mme Van Elslande.

RECHUTE

Au printemps dernier, M. Cloutier avait recommencé à fréquenter l'Old Brewery Mission. À quelques reprises ensuite, on lui a proposé d'adhérer à un autre programme, encadré par des spécialistes du Centre hospitalier de l'Université de Montréal. Mais cette fois, non réceptif, il a décliné l'offre.

Selon Mme Van Elslande, la mort de Jimmy Cloutier témoigne des limites « d'un système qui protège très fort les droits de la personne, souvent au détriment de la sécurité de l'individu en cause ».

Photo Ninon Pednault, La Presse

Nadine Van Elslande dirige la maison Claude-Laramée qui, avec l'appui de l'hôpital Douglas, accueille des sans-abri vivant avec des troubles graves de santé mentale.

Mme Van Elslande regrette par ailleurs que trop peu de policiers soient adéquatement formés pour répondre à des personnes en crise présentant des troubles mentaux. La tragédie est certes arrivée en plein centre-ville, un vendredi après-midi, avec plein de gens dans les parages qui se trouvaient exposés, souligne-t-elle d'emblée. « Les policiers sont formés pour neutraliser une menace, et c'est ce qu'ils ont fait. On ne peut pas tous leur demander d'être des psychologues ou des travailleurs sociaux, mais une personne en crise manifeste tout de même des signes de base que les policiers devraient savoir reconnaître. »

DES QUESTIONS À SOULEVER

« Je comprends la difficulté d'être policier dans une ville comme Montréal et d'avoir pour mission d'en assurer la sécurité, dit le grand patron de l'Old Brewery Mission, Matthew Pearce. Les policiers sont formés pour préserver la paix et, conformément à ce qu'on leur enseigne, quand ils tirent, c'est dans le but de tuer. En ce sens, cette intervention policière, selon les critères actuels, est une réussite, mais une bien triste réussite. »

M. Pearce signale que dans un organisme comme le sien, il arrive régulièrement que le personnel soit appelé à gérer des crises et qu'il y arrive. « L'approche de la police, dans une telle situation, c'est le contrôle. Chez nous, c'est le contraire. Devant une personne en crise, on s'assure de lui donner de l'espace. Je ne veux pas critiquer les policiers, qui se trouvaient devant un homme qui aurait eu en main deux couteaux, mais il faut se poser certaines questions. »

Comme ce n'est pas la première tragédie du genre à survenir, quantité de questions ont déjà été soulevées. En mars 2016, après avoir passé en revue les événements qui ont mené à la mort d'Alain Magloire, le coroner Luc Malouin émettait une série de recommandations, dont celles « de revoir la formation au cégep et à l'École nationale de police de Nicolet [afin que les policiers] bénéficient d'une bonne formation en matière de santé mentale » et de prévoir de la formation continue. 

À l'Old Brewery Mission, l'heure est depuis vendredi à la gestion de crise, plusieurs employés et usagers ayant été bouleversés par la mort de M. Cloutier. 

La Fraternité des policiers et policières n'était pas disponible pour commenter l'affaire, hier.

SANS-ABRI TUÉS PAR DES POLICIERS DU SPVM

5 JANVIER 2017 

Jimmy Cloutier

3 FÉVRIER 2014 

Alain Magloire

6 JANVIER 2012 

Farshad Mohammadi

7 JUIN 2011 

Mario Hamel