Vanessa a toujours été attirée par le Japon. Enfant, elle était fascinée par les mangas et tout ce qui entourait la culture japonaise. Alors, lorsqu'elle a décidé de quitter son Montréal natal pour aller y travailler en 2008, ce ne fut une surprise pour personne. Mais, huit ans plus tard, le 23 mars 2016, la vie rêvée s'est arrêtée en même temps que son coeur. Son séjour a tourné au cauchemar. Sans le sou aujourd'hui, elle mène une campagne de financement.

Vanessa Cadrin a quitté le Québec à 27 ans. Elle venait de terminer ses études en enseignement de l'anglais et est partie transmettre son savoir au Japon. D'abord aide-professeure dans une école de campagne, elle s'est retrouvée à Tokyo, où elle travaille dans une école secondaire privée depuis quatre ans.

« J'adore mon emploi, mes élèves, mes collègues, résume-t-elle au bout du fil. C'est une des raisons pour lesquelles je suis ici depuis aussi longtemps. »

Ça, mais aussi ses amis, son mode de vie, son nouveau quartier un peu kitsch qu'elle souhaitait depuis des mois faire découvrir à sa mère...

« Ma mère était venue me voir au Japon juste une fois, et je voulais qu'elle vienne voir mon quartier, comme je pensais tranquillement revenir au Québec », raconte Vanessa.

En mars dernier, sa mère Isabelle a décidé sur un coup de tête d'aller la visiter durant deux semaines au terme desquelles elles se sont quittées le matin du 23 mars. Vanessa est partie à Kobe; sa mère est retournée à Tokyo et quittait le Japon le lendemain.

Quand la vie bascule

« Je me rendais au spectacle de BTS avec mon amie et mon coeur s'est mis à battre super vite, se souvient Vanessa. J'avais la main sur mon coeur qui débattait à une vitesse folle. J'ai dit: "Appelle le 911, je fais une crise cardiaque". C'est la dernière affaire dont je me rappelle. »

Vanessa a subi une dissection aortique due à une dilatation de l'aorte, une condition génétique très rare. Un nombre infime de personnes survivent à une dissection de l'aorte, l'artère la plus importante du corps humain.

« J'ai reçu un texto tout mal écrit de la part de Vanessa qui me disait grosso modo : "Maman, je suis à l'hôpital de Kobe". Mon coeur de mère a fait plusieurs tours », se souvient, encore émotive, Isabelle Cadrin. Vanessa n'a aucun souvenir de l'envoi de ce message texte ; elle a repris connaissance trois jours après son intervention chirurgicale d'urgence.

Quand ces nouvelles lui sont parvenues, Mme Cadrin a annulé son vol in extremis, est sautée dans un train et a filé vers Kobe - à trois heures de Tokyo - où elle a fait le tour des hôpitaux jusqu'à ce qu'elle trouve sa fille.

« Quand je suis arrivée et que je l'ai vue branchée de partout aux soins intensifs, que j'ai vu sa cicatrice de la poitrine au nombril, j'ai réalisé à quel point c'était grave », se souvient Isabelle Cadrin, mère de Vanessa.

« Des fois, on se dit que quelqu'un a attaché des petits fils quelque part pour qu'on soit là, ensemble, à ce moment-là », confie Mme Cadrin, qui est finalement restée deux mois auprès de sa fille.

Un rétablissement souffrant

Vanessa a subi une opération d'urgence à coeur ouvert, les côtes reliées à son sternum ont dû être sectionnées et elle a subi une greffe d'une section de l'aorte. La convalescence a été souffrante.

« Là-bas, ils n'ont pas de forte médication, on me donnait des espèces d'aspirines, mais un peu plus fortes », raconte Vanessa.

Mais elle était vivante. La réaction rapide de son amie qui a appelé l'ambulance, la proximité de l'hôpital avec le lieu du concert et la présence d'un chirurgien au moment de son admission aux urgences l'ont sauvée.

« Ce que j'ai eu, c'est super rare, le taux de survie est à peu près de 3 %. Ils n'avaient absolument aucune idée de ce qui m'attendait, combien de temps je serais hospitalisée, quand est-ce que je pourrais retourner travailler, etc. »

Une facture salée

Après trois semaines, Vanessa a pu rentrer à Tokyo... avec une facture de 5000 $.

« Juste l'opération à coeur ouvert coûtait quelque chose comme 100 000 $, alors les assurances en ont payé une bonne partie. Mais j'avais quand même 5000 $ à payer », explique la jeune femme, qui a remboursé avec ses économies.

« Ici, tout le monde est sur le système d'assurances du Japon, explique-t-elle. Maintenant que je suis à risque, mon assurance est montée dans le plafond. Ça me coûte le double, près de 400 $ par mois », explique la jeune femme qui vit dans un minuscule appartement d'une seule pièce.

Une fois à Tokyo, elle a été de nouveau hospitalisée. Un autre 1000 $ de sa poche. Depuis, les dépenses s'accumulent : médicaments, rayons X, tomodensitomètre (CT-Scan)... Parallèlement, son employeur lui verse 50 % de son salaire, et ce, à condition qu'elle retourne enseigner à l'automne et qu'elle honore la durée de son contrat. Mais elle est encore très faible.

« Je n'ai plus de coussin. En juillet, je suis tombée à zéro. J'ai payé mon loyer, mes comptes et il me restait 100 $ pour le reste du mois », dit Vanessa Cadrin.

L'évidence semble s'imposer : pourquoi ne pas revenir au Québec ?

« Je ne peux pas, laisse tomber Vanessa sur un ton impuissant. Quand j'étais à l'hôpital, j'étais sûre que j'allais mourir là. Je voulais revenir avec ma mère. Mais, à cause de ma condition, il n'est pas question pour les docteurs que je prenne l'avion, c'est trop dangereux... et j'ignore jusqu'à quand. »

Mettre son orgueil de côté

Aussi, si elle rentrait au Québec, l'assurance maladie ne la couvrirait pas les trois premiers mois et elle a encore besoin d'un suivi médical assidu. Alors, d'ici à ce que tout rentre dans l'ordre, une amie lui a suggéré de faire une campagne de financement.

« Au début, je ne voulais rien savoir. Je vendais mes affaires sur eBay, et avec l'argent j'allais m'acheter à manger. Mais... j'ai vite fait le tour », raconte Vanessa, dont les parents sont aussi au bout de leurs économies. À la fin du mois de juillet, elle a finalement lancé un appel à la générosité sur le site GoFoundMe et a été renversée par la réponse reçue.

« Des gens que je n'ai pas vus depuis des années m'ont donné de l'argent, une fille avec qui j'ai travaillé à l'université il y a 10 ans m'a donné 1000 $ », raconte, encore ébranlée, la femme de 34 ans qui porte maintenant un regard différent sur la vie.

« J'ai une deuxième chance de vivre et ce n'est pas pour rien faire. Maintenant, je me fiche de ce que les gens peuvent penser de moi. J'ai 34 ans, je tripe sur BTS, un boys band coréen, c'est cave, mais je m'en fous ! Ça me rend heureuse ! »

En envoyant des photos de son opération pour accompagner l'article, elle n'a d'ailleurs pas pu s'empêcher d'en joindre une de son groupe fétiche. Celui « qui lui a sauvé la vie en donnant un concert à côté d'un hôpital », le jour où son coeur a voulu lâcher.

PHOTO FOURNIE PAR VANESSA CADRIN

Vanessa Cadrin a repris connaissance trois jours après son intervention chirurgicale d'urgence. 

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QU'EST-CE QU'UNE DISSECTION AORTIQUE ?

L'aorte est la plus grosse artère du corps humain. Parmi les causes de douleur thoracique, la dissection aortique (DA) est une des urgences médicales les plus mortelles. Elle est la conséquence d'une séparation des couches de l'aorte qui part généralement d'une brèche ou d'une déchirure (causée par la dilatation, dans le cas de Vanessa). Sous l'effet de la pression de l'éjection du sang par le ventricule, la dissection s'étend et cause une hémorragie. Sans une intervention chirurgicale immédiate, le risque de mort est très élevé. Aux États-Unis, 3 à 4 personnes sur 100 000 subissent une DA par année. Ce sont en particulier des hommes de 60 à 70 ans qui en sont victimes deux à trois fois plus souvent que les femmes du même âge. Vanessa était une exception.

Source : Ordre des infirmiers et infirmières du Québec

ÉTAIT-CE ÉVITABLE ?

La dissection aortique que Vanessa a subie a été causée par une dilatation de l'aorte qui, dans son cas, est une condition héréditaire. Des examens médicaux annuels auxquels elle se soumettait les quatre premières années suivant son arrivée au Japon avaient démontré des signes de haute tension.

« Ils me disaient que j'étais sur la limite, que je devrais peut-être prendre des pilules, mais que je n'étais pas obligée. Maintenant, c'est sûr que je me dis : "J'aurais dû". J'aurais dû prendre des médicaments. J'aurais dû continuer d'aller chez le docteur. J'aurais dû. J'aurais dû... », laisse tomber la jeune trentenaire. Après son opération, Vanessa a perdu 18 kg. Elle ne fume plus, ne boit plus, a supprimé le sel de son alimentation et commence à être moins essoufflée. Elle reprend tranquillement des forces.