Il est mort comme il a vécu ses dernières années : sur la route. Sa passion n'était malheureusement pas sans danger. En rendant hommage à Gilbert Prince, la victime de l'accident de l'autoroute Métropolitaine, ses amis de la grande confrérie des camionneurs ont lancé hier un appel urgent au partage de la route et à la prudence au volant.

Multiplier les allers-retours entre le Québec et la Californie dans un petit habitacle, en éteignant le moteur une seule fois par jour pendant le trajet de 55 heures et en se relayant pour dormir à l'arrière du camion, voilà qui crée des liens très forts. Aussi forts qu'un camion dix-huit roues.

Après avoir été son formateur et lui avoir appris les rudiments du camionnage, Alain Duguet est devenu le coéquipier de Gilbert Prince pour les longs trajets vers le Sud, pendant près de deux ans. La mort atroce de ce dernier le hante depuis mardi.

« J'ai versé une larme. Je parle de lui, là, et ça me serre en dedans. C'était un bon bonhomme, toujours jovial, qui aimait tout le monde. Il n'aimait pas la dispute », raconte Alain Duguet, les yeux pleins d'eau.

IL VOULAIT VOIR DU PAYS

Gilbert Prince avait abandonné sa carrière de programmeur informatique au milieu des années 2000 pour suivre une formation de routier. Il a fait son stage avec Alain Duguet en 2008. Puis ils ont commencé à travailler en équipe. L'ancien programmeur se surnommait lui-même « grand-pôpa Caillou », à la fois en référence à sa calvitie précoce et à ses petits-enfants.

«  Il m'avait dit qu'il cherchait une place pour voir plus de pays. On en a vu ! Louisiane, Floride, Californie, Oregon, Washington : j'ai fait presque tous les États-Unis avec lui. Il nous manquait seulement l'Alaska et Hawaii. Et on a fait le Canada d'un bout à l'autre », raconte Alain Duguet, ancien compagnon de route de Gilbert Prince.

Les deux hommes ont noué des amitiés avec des routiers de partout en Amérique, découvert toutes sortes de paysages, passé des heures à discuter de la vie, de leurs amours, de leurs familles en avalant les kilomètres. « Camionneur, c'était une passion pour lui, comme pour moi. Il adorait sa job. »

Selon Alain Duguet, Gilbert Prince avait des aptitudes particulières pour ce genre de travail à huis clos. « Pour faire des voyages en équipe, il faut que tu aies beaucoup d'entregent et que tu pardonnes facilement. Tu ne peux pas être rancunier », dit-il.

Les deux hommes transportaient vers les États-Unis « toutes les matières premières du Québec » : bois, aluminium, bleuets et autres. Ils rapportaient beaucoup de fruits et de légumes californiens dans des camions réfrigérés.

PLUS DE TEMPS POUR LA FAMILLE

Un jour, Gilbert Prince a cessé de faire des longs trajets pour se rediriger vers le transport local, beaucoup moins payant. « Il voulait être plus proche de sa famille. Il adorait ses enfants, ses petits-enfants et sa femme, qu'il appelait sa petite princesse », raconte M. Duguet.

Le camionneur se plaisait dans son nouvel emploi. « Je lui ai proposé de venir travailler avec moi récemment et il m'a dit : "Non, je suis bien où je suis. La minute où je ne serai plus bien, je vais t'appeler" », se souvient Alain Duguet. L'appel n'est jamais venu.

Tant sur les routes étrangères que locales, Gilbert Prince était très prudent au volant, selon son ami. Il évaluait toujours le risque. « Dès qu'il était fatigué, il arrêtait le camion et allait se coucher. Ça ne le dérangeait pas de transporter du diesel, mais il ne voulait pas faire du gaz d'avion, qui brûle plus facilement. »

L'AFFAIRE DE TOUS

Mais la sécurité routière, c'est l'affaire de tous les usagers de la route, souligne le camionneur, qui affirme que la courtoisie au volant et la prudence sont en régression au Québec.

« C'est de pire en pire sur les routes. Il y en a, s'ils pouvaient passer en dessous du camion, ils le feraient. Il n'y a plus de respect. En région, c'est un peu mieux, mais en ville, il n'y a pas de courtoisie, les gens sont toujours pressés. J'aime mieux travailler à Los Angeles, où je mets mon clignotant et ça prend maximum trois voitures avant que je puisse me tasser. Ici, ce n'est pas ça », dit-il.

Même s'il ignore la cause de l'accident qui a coûté la vie à son ancien élève, Alain Duguet croit que le moment est propice pour une prise de conscience en matière de sécurité routière. 

« Les gens ne laissent pas de chance aux camions, pourtant une citerne, c'est une bombe qui se promène sur l'autoroute. Quand tu le coupes, tu joues avec ta vie et celle du chauffeur », soutient Alain Duguet.

Yvan Domingue, un autre ancien collègue qui loue la prudence au volant de Gilbert Prince, abonde dans le même sens. « Ça nous arrive tous les jours de nous faire couper, et souvent les gens vont jusqu'à freiner ensuite, boum ! C'est incroyable comment les gens n'ont pas conscience de ce que c'est, un camion », dit-il, en soulignant qu'un poids lourd ne peut freiner aussi vite qu'un véhicule léger.

Les deux chauffeurs d'expérience n'ont toutefois pas été surpris de voir qu'un autre camionneur a tenté désespérément de sauver leur ami. « En tant que camionneur, quand tu vois ça, tu te dis : "si ça m'arrivait, j'espère que l'autre viendrait m'aider" », laisse tomber Alain Duguet, avant de replonger dans ses pensées.

Photo tirée de Facebook

Gilbert Prince, mort dans l'explosion de son camion-citerne sur l'autoroute Métropolitaine

Carol Bujold secoué par la tragédie

Carol Bujold, le camionneur qui a héroïquement tenté de sauver la vie de Gilbert Prince mardi, était toujours ébranlé par la mort tragique de son confrère hier, ont raconté sa mère et son patron à Radio-Canada. « C'est son moral [qui est affecté]. Ça lui a fait quelque chose que le monsieur brûle », a confié Céline Comtois, qui a parlé avec son fils hier. Secoué, celui-ci lui a raconté en partie les événements. « Il est débarqué [du camion]. Il est allé aider l'autre monsieur. Le monsieur criait : "Viens m'aider ! Viens me sortir !" C'est la police qui lui a dit de sortir de là », a-t-elle dit. « Il était évidemment sous le choc. C'est un événement qui est très, très, très tragique », a dit à Radio-Canada le patron de Carol Bujold, Jean Carrière.

- Louis-Samuel Perron, La Presse