Ils étaient tous les deux dans la vingtaine. L'un était policier ; l'autre avait suivi une formation militaire. Leurs destins se sont croisés dans une résidence de la réserve algonquine de Lac-Simon, tard samedi soir, plongeant deux familles et toute une communauté dans le deuil.

La mort du policier Thierry Leroux, abattu samedi par un homme de 22 ans, Anthony Papatie, qui a ensuite retourné l'arme contre lui-même, a bouleversé cette communauté de 1800 personnes, à une trentaine de kilomètres à l'est de Val-d'Or.

« Tout le monde ici a passé une mauvaise nuit. C'est l'état de choc, a dit hier la vice-chef, Pamela Papatie, très émue. On est tous humains. On comprend la perte, on comprend la douleur. »

Une douleur qui afflige la famille du policier, accourue à Val-d'Or après avoir été informée de la tragédie en pleine nuit.

« Il aimait son métier, il voulait en faire sa carrière, mais il n'a pas eu le temps de la vivre, sa carrière », relate Michel Leroux, le père de Thierry Leroux.

Dans la lumière déclinante de la fin de l'après-midi, une soixantaine de résidants ont répondu à l'appel du conseil de bande et bravé le froid mordant pour marcher à la mémoire des deux hommes.

Ils se sont d'abord rendus au bureau du service de police, où ils ont déposé des gerbes de fleurs et fait un cercle de prière en hommage à l'agent auxiliaire Leroux, 26 ans, l'un des 6 non-autochtones de ce corps de 14 membres.

Thierry Leroux était arrivé à Lac-Simon l'été dernier après avoir travaillé quatre mois à Kanjiqsujuaq, au Nunavik (voir autre texte). Une aînée du village a souligné en algonquin l'importance de ces travailleurs allochtones qui « se donnent avec coeur » dans la communauté.

Le cortège s'est ensuite rendu à quelques coins de rue de là, près de la maison où Anthony Papatie a atteint mortellement l'agent Leroux, qui s'y était présenté avec un collègue pour répondre à un appel relatif à une dispute, peu avant 22 h 30, samedi.

Les enquêteurs des crimes contre la personne de la Sûreté du Québec, à qui l'enquête a été confiée, étaient toujours à l'oeuvre, mais les policiers ont laissé un jeune enfant entrer à l'intérieur du périmètre de sécurité pour qu'il puisse déposer des roses dans la neige devant la résidence.

PHOTO PC

Thierry Leroux

Incompréhension

Dans la foule, quelques personnes arboraient des affiches à la mémoire d'Anthony Papatie. Ils s'expliquaient mal ce qui a pu faire basculer le jeune homme, qui enseignait le crossfit au service des loisirs de la réserve et semblait avoir bonne réputation.

« Ça nous a surpris, parce qu'il a aidé bien des gens à se relever dans la communauté, selon Ronnie Wabanonik, 22 ans. Beaucoup de monde allait s'entraîner pour parler avec lui. C'est pas pour rien que tout le monde l'appelle "bro" sur Facebook. Il défendait les plus faibles. »

Sur sa page Facebook, on peut voir des photos de lui en uniforme militaire. Il avait terminé avec succès, en novembre 2014, le Programme d'enrôlement des autochtones des Forces canadiennes, une formation de trois semaines destinée aux autochtones qui envisagent une carrière militaire.

« C'était un garçon doux », a dit sa voisine Laura Poucachiche, dont la fille est la belle-soeur d'Anthony Papatie. Elle dormait au moment du drame, mais elle a été réveillée par la soeur d'Anthony, Johanna, qui, dit-elle, se trouvait dans la maison où la fusillade s'est produite, avec cinq enfants. « Johanna braillait, elle disait : "mon frère s'est tiré !" Je me suis levée bien vite et toute la gang d'à côté, avec les enfants, est arrivée vers 22 h 30 ou 22 h 45. »

Quelques minutes plus tôt, Anthony Papatie avait publié un ultime message sur Facebook. « Dsl tout le monde menvo asteur jai tuer un police », a-t-il écrit à 22 h 28, avant d'ajouter « Fuck », une minute plus tard. Selon Laura Poucachiche, M. Papatie avait exprimé des pensées suicidaires au cours des derniers mois. Certains membres de la communauté ont souligné qu'il avait été très affecté par la mort d'un ami proche, il y a un an.

La SQ prend la relève

Le partenaire de l'agent Leroux n'a pas été touché, mais il a été traité pour un choc nerveux. Durement éprouvés, les policiers de Lac-Simon ont d'ailleurs tous été mis au repos. C'est la Sûreté du Québec (SQ) qui patrouillera dans la réserve jusqu'à nouvel ordre. La situation n'inquiète pas le responsable de la sécurité publique au conseil de bande, Jean-Marie Papatie, même si une enquête est en cours à propos d'allégations d'agressions contre des femmes autochtones de la part de policiers du poste de Val-d'Or de la SQ.

« Ce qui s'est passé [samedi] soir est un événement à part. Ce sont deux événements différents, a-t-il dit. Ça ne cause aucun problème. Pour le reste, il y a eu réconciliation entre Val-d'Or et notre communauté. On maintient ça. » Une déclaration contre le racisme a été signée par le maire de Val-d'Or et les chefs autochtones de la région à la mi-décembre.

De retour à la salle communautaire, Véronique Papatie venait d'arriver de Kitcisakik, une autre communauté algonquine, une cinquantaine de kilomètres plus au sud. Elle connaissait bien Anthony Papatie, qui avait déjà été en couple avec sa belle-soeur, morte l'an dernier de cirrhose amérindienne, une maladie héréditaire. « Il était affectueux et chaleureux, et s'exprimait très bien. Il prenait soin de ma belle-soeur et ne touchait pas à la drogue ou à l'alcool à cette période-là. Ma belle-soeur avait laissé une lettre d'amour pour lui qu'on a trouvée à sa mort. On n'a jamais pu la lui transmettre. »

- Avec la collaboration de Jean-François Codère

Photo tirée de Facebook

Anthony Joseph Raymond Papatie