L'utilisation frénétique de son appareil BlackBerry a coulé le caïd Raynald Desjardins.

Cet acteur important de la mafia montréalaise a envoyé de multiples messages cryptés réputés ultrasûrs concernant le meurtre de l'aspirant parrain Salvatore Montagna.

En plus de comploter pour faire assassiner son rival, Desjardins prévoyait s'attaquer à d'autres membres du clan Montagna, révèle par ailleurs la preuve au dossier.

Or, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a réussi à intercepter les messages cryptés et ainsi mettre un terme au bain de sang, révèle la preuve. Desjardins est parmi les premiers criminels au Canada - sinon le premier - à avoir été coincé de la sorte.

Salvatore Montagna, ex-chef par intérim de la famille mafieuse new-yorkaise des Bonnano, a été assassiné le 24 novembre 2011 dans l'île Vaudry, à Charlemagne. L'homme de 40 ans a été retrouvé inerte et ensanglanté sur la rive de la rivière L'Assomption.

Les médias peuvent désormais révéler certaines informations mises en preuve puisque Desjardins a plaidé coupable, hier, au centre judiciaire Gouin à une accusation réduite de complot pour meurtre. Vêtu d'une veste noire et d'un jean, le caïd de 61 ans est resté impassible dans le box des accusés. Sept coaccusés, eux, attendent toujours d'être jugés. Leurs noms ainsi que la preuve les concernant sont toujours frappés d'un interdit de publication.

Le jour du meurtre, la GRC s'empresse de communiquer avec la Sûreté du Québec (chargée d'enquêter sur l'homicide) pour transmettre au corps policier québécois des informations sur le crime. C'est que la GRC avait déjà commencé à intercepter les conversations cryptées «de type PIN à PIN» envoyées par Raynald Desjardins dans le cadre de sa propre enquête sur la mafia (son champ d'expertise).

Desjardins a été arrêté un mois après le meurtre de Montagna. Il portait un gilet pare-balles. Le caïd est du genre prudent, voire méfiant. Il se déplaçait dans un véhicule blindé, souvent escorté par un garde du corps armé. Sa résidence de Laval était munie d'un système de caméras de surveillance et d'un dispositif de brouillage d'ondes. Un pistolet Glock chargé dissimulé sous le sofa a été saisi par la police.

D'alliés à ennemis

En 2010-2011, alors que la mafia montréalaise est ébranlée par une série de meurtres, Desjardins, Montagna et d'autres chefs de clan ont formé une alliance pour renverser le clan Rizzuto. Or, un conflit éclate entre eux au printemps 2011.

Le clan de Desjardins reproche alors à celui de Montagna de s'approprier des secteurs d'activités illicites, dont les paris sportifs et le prêt usuraire, par la voie de l'intimidation.

À l'époque, le parrain Vito Rizzuto est toujours incarcéré aux États-Unis (il mourra de cause naturelle en décembre 2013, un peu plus d'un an après son retour à Montréal).

Quelques mois après le début du conflit au sein de l'alliance, en septembre 2011, Desjardins est victime d'une spectaculaire tentative de meurtre à Laval.

Le matin du 16 septembre, Desjardins et son garde du corps, Jonathan Mignacca, sont à bord de leurs véhicules respectifs, stationnés sur le boulevard Lévesque près du pont de l'autoroute 25, à Laval, lorsqu'un tireur dissimulé dans les buissons les prend pour cibles. Armé d'un fusil mitrailleur AK-47, le tireur - jamais accusé - fait feu à 17 reprises. Mignacca réplique avec six projectiles de son pistolet Glock. Personne n'est blessé dans cette fusillade.

Desjardins, qui travaille dans le milieu de la construction, quitte les lieux en trombe à bord de son VUS BMW percé de projectiles et se rend sur l'un de ses chantiers, situé tout près. Les policiers s'y présentent rapidement et l'arrêtent.

«Oui, c'est moi qui s'est fait tirer dessus», leur dit Desjardins, mais il précise qu'il ne veut pas porter plainte.

Desjardins dira plus tard que deux balles lui ont frôlé la tête. Il ajoute «qu'il comprend la game, qu'il a fait du pen et qu'il n'a pas à en parler».

Il critique tout de même le fait que son assaillant a décidé de tirer alors qu'un autobus de la Société de transport de Laval passait au même moment. L'attentat aurait pu faire d'innocentes victimes. «C'est dégueulasse de la façon dont cela a été fait», a-t-il dit aux policiers.

Selon l'enquête de la police, Desjardins a tout de suite soupçonné Salvatore Montagna d'être derrière la tentative de meurtre dont il a été victime.

Peu après, Raynald Desjardins appelle son homme de confiance Giuseppe Bertolo, cité à la commission Charbonneau, pour le mettre au courant des événements.

Le caïd téléphone ensuite à Domenico Arcuri, lié au clan Montagna, selon la police. On ignore le contenu de leur conversation.

Bertolo reçoit un message d'Arcuri, qui lui propose une rencontre avec lui et Montagna. Elle aura lieu dans le milieu de l'après-midi.

À 14h, deux policiers se rendent au lieu de travail de Desjardins, le promoteur immobilier Groupe Samara, espérant «qu'aucune guerre» ne soit déclenchée. Desjardins leur répond qu'il est de nature pacifique. Les enquêteurs visiteront d'autres proches du caïd ce jour-là pour tenter d'apaiser les tensions.

À 15h23, Giuseppe Bertolo, Domenico Arcuri et Salvatore Montagna se rencontrent dans un Tim Hortons de l'est de Montréal. La police ignore ce qu'ils se sont dit. D'autres policiers se rendent au même moment au domicile de Salvatore Montagna dans l'arrondissement de Saint-Hubert.

À 17h, l'avocat de Joe Di Maulo rappelle les policiers. Ceux-ci expliquent la raison de leur démarche. Le criminaliste dit qu'il va les rappeler pour fixer une rencontre.

À 18h30, les policiers rencontrent Joe Di Maulo et son avocat dans un restaurant de Rosemère. Ils demandent au chef de clan «d'utiliser son influence auprès des gens impliqués pour baisser les tensions et éviter une guerre». Di Maulo répond que les médias le voient plus important qu'il ne l'est en réalité.

Montagna aurait plus tard communiqué avec Desjardins pour lui dire qu'il n'avait rien à voir avec l'attentat survenu à Laval, selon le témoignage d'un enquêteur et des documents de la police déposés lors de l'enquête sur remise en liberté du caïd en mai 2013.

Desjardins ne l'a vraisemblablement pas cru.

Les plaidoiries sur la peine à imposer au caïd auront lieu le 21 décembre 2015. La peine maximale prévue au Code criminel est la prison à perpétuité.

Le fil des événements

16 septembre 2011: Raynald Desjardins est la cible d'un attentat. Il s'en tire indemne.

24 novembre 2011: Meurtre de Salvatore Montagna dans l'île Vaudry, à Charlemagne.

20 décembre 2011: Raynald Desjardins est arrêté et accusé du meurtre prémédité de Montagna. Cinq autres personnes seront aussi arrêtées au cours des semaines suivantes. Deux ans plus tard, en novembre 2013, deux suspects supplémentaires sont arrêtés.

6 juillet 2015: Desjardins plaide coupable à une accusation réduite de complot pour meurtre.

Qui était Salvatore Montagna?

• Né à Montréal

• Alors qu'il a 1 an, sa famille part vivre à Castellammare del Golfo, en Sicile.

• Il a 15 ans lorsque sa famille s'installe à New York.

• Jeune adulte, il fonde la Matrix Steel Co. dans Brooklyn, d'où son surnom de Sal le ferronnier.

• C'est en 1998 que Montagna est invité à se joindre au clan Bonnano par Gerlando Sciascia, surnommé George le Canadien, selon des documents de l'ambassade des États-Unis. Sciascia sera assassiné un an plus tard. Après ce meurtre, Montagna est envoyé à Montréal pour rencontrer Vito Rizzuto.

• Montagna devient chef par intérim du clan Bonnano en 2006.

• Montagna fait régulièrement l'aller-retour New York-Montréal. À Montréal, il est proche d'un homme qui a épousé une nièce de Vito Rizzuto.

• Les documents américains le décrivent comme un homme très prudent qui n'hésitait pas à se rendre au Canada en voiture pour livrer un message plutôt que d'utiliser le téléphone.

• Au printemps 2010, Montagna est expulsé des États-Unis et il s'établit dans la région de Montréal.

• En 2010 et 2011, il est au centre d'une lutte d'influence au sein de la mafia montréalaise et au cours de laquelle le clan Rizzuto est sérieusement affaibli.

• Il est assassiné le 24 novembre 2011 dans l'île Vaudry, à Charlemagne. Il avait 40 ans.