Il y a bientôt six mois que Jenique Dalcourt a été battue à mort près de la piste cyclable du Vieux-Longueuil. Des cafouillages des policiers après le meurtre pourraient avoir nui à l'enquête, selon des informations obtenues par La Presse.

Valse-hésitation autour de la scène de crime. Non-surveillance des lieux. Contamination par des travailleurs municipaux. L'enquête sur le meurtre de Jenique Dalcourt a commencé sur des bases chancelantes, a appris La Presse.

Le cafouillage a même fait l'objet d'un bilan au Service de police de l'agglomération de Longueuil (SPAL). On voulait s'assurer que le manque de coordination ne vienne pas de nouveau miner une enquête pour crime majeur dans la cinquième ville en importance au Québec.

John C. Gandolfo, le père de Jenique Dalcourt, est abasourdi par la façon dont l'enquête a été menée. «Nous sommes troublés. Nous sommes fâchés», dit-il, en entrevue dans sa résidence de Long Island, près de New York. Un tableau représentant sa fille est installé sur un chevalet. Une urne avec les cendres de Jenique repose sur une table du salon.

Entre autres, M. Gandolfo ne comprend pas pourquoi la police n'a pas adéquatement bouclé le secteur où le corps de sa fille a été retrouvé.

Trois jours après le meurtre de la Longueuilloise de 23 ans, survenu le soir du 21 octobre dernier, des employés municipaux sont venus élaguer les arbres et installer des lumières puissantes dans le coin mal entretenu de la piste cyclable du Vieux-Longueuil où le corps de la jeune femme a été retrouvée.

Quand les enquêteurs ont voulu inspecter de nouveau les lieux ce jour-là, ils ont dû utiliser des râteaux pour enlever les branches et les feuilles qui recouvraient la scène de crime.

«Les premières 72 heures sont les plus critiques, dit M. Gandolfo. Pourtant, les gens pouvaient aller et venir, la scène a été contaminée. La scène du crime est censée être bouclée. Personne ne doit y avoir accès.»

Les lieux ont été laissés sans surveillance entre les visites des enquêteurs, ce qui explique que personne n'ait empêché les émondeurs d'y accéder.

Suspect relâché

Quatre jours après le meurtre, la police a arrêté un suspect, un homme de 26 ans. Sur le point d'être accusé, il a été relâché, faute de preuves. On peut penser que l'empressement de la police à le rencontrer et à l'appréhender - et le revirement qui a suivi - fait aussi partie des problèmes mentionnés au début de l'enquête par le SPAL.

Le porte-parole de la police de Longueuil, Tommy Lacroix, a dit que son service ne pouvait répondre aux questions de La Presse.

«Ces éléments font partie intégrante de l'enquête et pour ne pas nuire à celle-ci, nous ne ferons aucun commentaire. L'enquête est toujours en cours et est traitée de façon prioritaire par le SPAL.»

Jenique Dalcourt a été tuée à coups de barre de métal à la tête alors qu'elle rentrait chez elle après le travail, peu avant 22h, dans le Vieux-Longueuil. L'arme du crime n'aurait pas été retrouvée, selon nos informations. Un ou deux souliers de la victime ont été retrouvés près des lieux.

Au total, les policiers de Longueuil ont bouclé et levé des périmètres à au moins trois reprises sur la scène de crime.

Darryl Davies, un criminologue cumulant 20 ans d'expérience et également professeur à l'Université Carleton, à Ottawa, est stupéfait par cette façon de procéder.

«Aucune force de police compétente ne va laisser une scène de crime sans surveillance, et ensuite y retourner jour après jour après jour. Ce que ça me dit, c'est qu'ils ne savent pas ce qu'ils font.»

Le soir du crime, les policiers de Longueuil ont bouclé un important périmètre de sécurité autour de l'endroit où a été retrouvée Jenique Dalcourt. On a enquêté sur des jeunes dont la voiture était stationnée dans le périmètre, mais les policiers ont vite conclu qu'ils n'étaient pas liés au drame.

Les policiers ont par la suite levé le périmètre de sécurité. Le jeudi matin, moins de 48 heures après le meurtre, des dizaines de citoyens ont donc pu se recueillir et déposer des fleurs sur le lieu où le corps avait été retrouvé. En après-midi, des policiers ont jugé que la scène ne devait pas être aussi accessible et ont de nouveau interdit l'accès au public.

Contamination

Le vendredi 24 octobre, trois jours après le meurtre, des employés de la Ville sont venus couper des branches dans le périmètre ceinturé par un cordon jaune laissé sans surveillance.

Du côté des policiers, on reproche à la Ville de Longueuil d'avoir trop rapidement envoyé ses employés élaguer les arbres après le meurtre.

«Ça fait des années que ça aurait dû être fait», dit une source.

Les policiers ont relancé les fouilles le 5 novembre, soit plus de deux semaines après le meurtre. Là, une quinzaine de policiers ont fouillé les lieux, pendant six heures, dans un rayon de 500 mètres autour de l'endroit du meurtre, y compris sur le toit des résidences, possiblement à la recherche de l'arme du crime.

Le père de Jenique Dalcourt comprend mal que cela n'ait pas été fait avant.

«Pourquoi n'ont-ils pas fouillé cette zone en premier lieu? À mon avis, des erreurs ont été commises.»

Il n'y a eu qu'un seul meurtre à Longueuil l'an dernier, fait-il remarquer. «Alors, quel est leur niveau d'expérience dans la résolution des cas de meurtre? Éventuellement, je vais en avoir ras le bol et je vais engager mes propres enquêteurs. S'ils ne sont pas capables de faire le travail, je vais trouver quelqu'un qui peut le faire. Ils m'ont promis qu'ils attraperaient le type qui a fait ça. Jusqu'ici, ça n'a rien donné.»

Tests d'ADN

Fin novembre, la police de Longueuil a dit avoir reçu des résultats de tests d'ADN. Elle a refusé d'en dire davantage, mais les mois qui ont passé depuis laissent entendre que ces tests n'ont pas permis d'identifier un agresseur.

Une fois que les policiers ont quitté la scène d'un crime, la possibilité de contamination est très élevée, et les éléments recueillis sont hautement suspects, fait remarquer le criminologue Darryl Davies.

«Vous ne pouvez pas espérer obtenir une condamnation par un tribunal avec une scène de crime qui a été laissée sans surveillance. L'avocat de la défense n'aura aucun mal à faire juger les éventuels éléments de preuve inadmissibles.»

Sans viser la police de Longueuil, le professeur Davies note que la formation des policiers au Canada est «complètement inadéquate», un sujet trop rarement abordé, dit-il.

Le fil des événements

21 octobre, peu avant 22 h : Jenique Dalcourt est tuée à coups de barre de métal sur la piste cyclable du Vieux-Longueuil. Le secteur est bouclé par les policiers.

23 octobre : Le secteur est rouvert. Des gens viennent déposer des fleurs. En après-midi, la police éloigne les gens et boucle à nouveau la scène de crime.

24 octobre : Des émondeurs de la Ville de Longueuil sont sur place pour couper les branches et poser de l'éclairage. Peu après, des policiers ratissent le sol recouvert de feuilles à l'aide de râteaux. En soirée, plus de 200 personnes participent à une veillée à la mémoire de Jenique Dalcourt.

25 octobre : Un homme de 26 ans est arrêté par la police de Longueuil en lien avec le meurtre de Jenique Dalcourt. Il est interrogé pendant deux jours.

27 octobre : Le suspect est relâché sans être accusé, faute de preuves.

28 octobre : Vigile et course à pied à la mémoire de Jenique Dalcourt. Trois cents personnes sont sur place.

5 novembre : Plus de deux semaines après le meurtre, les policiers de Longueuil retournent faire des recherches près de la piste cyclable. La police dit aussi attendre des résultats de tests d'ADN.

25 novembre : La police de Longueuil dit avoir reçu des résultats préliminaires d'analyses faites en laboratoire. Elle refuse d'en dire davantage sur la nature de ces résultats.

3 février : Une femme nommée Carole Thomas affirme dans les médias avoir été agressée sexuellement dans le même secteur du Vieux-Longueuil, deux jours avant le meurtre de Jenique Dalcourt.

2 avril : Carole Thomas est arrêtée par la Sûreté du Québec et interrogée. Les policiers affirment qu'elle a inventé son histoire de viol. Elle a été relachée sans accusation.