Après 15 années passées à la Cour suprême du Canada, le juge Louis LeBel prend sa retraite dimanche. En entrevue à La Presse, celui qui a été décrit comme un «juge modèle du Québec» revient sur sa carrière et jette un regard sur les tendances à venir, des impacts du durcissement de la justice criminelle à la nécessité d'un nouveau mécanisme de sélection des juges.

L'approche de l'ordre public (law and order) du gouvernement Harper en matière de droit criminel devrait entraîner en de nombreuses contestations judiciaires et pourrait marquer les grandes tendances du droit au cours des prochaines années.

C'est ce que croit le juge Louis LeBel, qui a accordé une entrevue à La Presse au moment où il s'apprête à prendre sa retraite de la Cour suprême du Canada demain, jour de son 75e anniversaire et après 15 années passées à siéger à la plus haute cour du pays.

Interrogé sur les grandes tendances constitutionnelles des années à venir, le juge a noté que les questions de partage des compétences continueront à occuper la Cour, de même que les «contestations constitutionnelles, notamment dans le domaine du droit pénal, en raison des phénomènes de modifications législatives de durcissement de certains aspects de la législation pénale».

Ces changements législatifs apportés par le gouvernement conservateur depuis 2006 ont déjà commencé à faire des vagues devant les tribunaux et dans certains cas, à atteindre les plus hauts échelons du processus judiciaire. C'est le cas notamment de la création de certaines peines minimales, de mesures imposées de manière rétroactive et de suramendes compensatoires auxquelles se sont opposés de nombreux juges aux quatre coins du pays.

«Je pense que c'est inéluctable que ça provoquera certaines contestations constitutionnelles, même une multiplication des contestations constitutionnelles, et probablement des réexamens de la jurisprudence constitutionnelle dans différents domaines», a déclaré le juge LeBel.

«Juge modèle du Québec»

Le magistrat originaire de Québec a admis avoir ressenti une «émotion intense» au moment de revêtir sa toge pour la dernière fois et d'entendre sa dernière cause. «Je savais que c'était le terme d'une carrière, d'un travail que j'avais beaucoup aimé», a-t-il dit. Avant d'accéder à la plus haute cour du pays, il a siégé pendant plus de 15 ans à la Cour d'appel du Québec et travaillé comme avocat en droit du travail pendant 20 ans.

Il n'a pas souhaité revenir sur les controverses qui ont agité la Cour ces derniers mois, dont l'affrontement entre la juge en chef et le bureau du premier ministre et le renvoi sur la nomination du juge Nadon. Dépeint par le professeur de l'Université d'Ottawa Sébastien Grammond comme «un juge modèle du Québec», étant donné, entre autres, son souci constant d'harmoniser le droit civil et la Common Law, Louis LeBel a néanmoins décrit le rôle que doivent jouer les trois juges de la province à la Cour suprême du Canada: «Ce que [le juge du Québec] apporte, c'est une certaine culture juridique et personnelle qu'il a acquise au Québec, a-t-il expliqué. Il apporte à la Cour une des deux traditions juridiques du pays et essaie de la faire vivre dans le contexte de ce tribunal, qui est une cour d'appel nationale.»

Sur le plan constitutionnel, «je reconnais très volontiers que je possède une certaine vision d'un fédéralisme que je vois comme plus coopératif, fondé sur, évidemment, le respect des compétences de chaque ordre de gouvernement, mais la nécessité aussi de la coopération», a-t-il ajouté.

Le juge LeBel retournera maintenant à son alma mater, l'Université Laval, à titre de juge en résidence. Il pourrait aussi se joindre à un cabinet à titre d'avocat-conseil. Il se souviendra de son passage à la Cour suprême comme d'un travail difficile, mais agréable. Un travail «qui en quelque sorte nous obligeait à aller au bout de nous-même, à nous questionner en profondeur sur les solutions, les problèmes, les conséquences de ce que nous ferions».

Comment fonctionne la Cour suprême?

Qui accède à la Cour?

La Loi sur la Cour suprême du Canada prévoit que les juges sont choisis parmi les juges du Canada (actuels ou anciens) et parmi les avocats (actuels ou anciens) ayant au moins 10 ans de pratique.

Comment une cause aboutit-elle à la Cour suprême?

La Cour suprême est le tribunal ultime du Canada. Les appels qui y sont entendus ont généralement fait l'objet d'une demande d'autorisation. Certains peuvent bénéficier d'un appel de plein droit. Le gouvernement fédéral peut aussi lui renvoyer une question directement (un renvoi), le plus souvent dans le domaine du droit constitutionnel.

Combien compte-t-on de juges à la Cour suprême?

La Cour suprême du Canada compte neuf juges, dont trois du Québec.

Combien de juges pour une cause?

Une cause doit être entendue par au moins cinq juges, mais elles le sont habituellement par sept ou neuf. Pour les demandes d'autorisation, trois magistrats se penchent sur le dossier avant de rendre leur décision, dont les motifs ne sont pas précisés.