Les employés d'une petite bibliothèque de Stanstead, dans les Cantons-de-l'Est, espèrent que la reconnaissance de culpabilité d'un Montréalais dans une affaire spectaculaire de trafic d'armes diminuera la popularité du petit établissement qui chevauche la frontière canado-américaine.

La bibliothécaire Nancy Rumery se souvient de louches va-et-vient l'après-midi du 25 mars 2011. Un homme qui ne venait visiblement pas du village flânait dans la bibliothèque. « Quand vous vivez à la campagne, en plein hiver, vous êtes tout emmitouflés, vos bottes sont pleines de boue et de sel... Lui, on aurait dit qu'il sortait tout droit d'une couverture de GQ », raconte-t-elle.

Et puis, il y avait son attitude : « Il semblait nous éviter. Il restait derrière les étagères, allait lire des livres plus loin. De toute évidence, il attendait que quelque chose se passe. »

C'est lorsqu'elle a vu un couple débarquer - qu'elle se souvenait d'avoir vu auparavant, mais qui lui non plus ne semblait pas venir du village - qu'elle a décidé d'appeler les services frontaliers.

Selon les documents de cour, le couple en question, formé de Jaime Ruiz et d'Annette Wexler, a acheté une vingtaine de pistolets en Floride, puis a conduit jusqu'au Vermont. Ils ont loué une chambre d'hôtel tout près de la frontière, du côté américain. Le même jour, ils sont entrés dans la bibliothèque avec un sac contenant une vingtaine d'armes de poing et l'ont caché dans la salle de bains, qui se trouve derrière une petite porte de bois tout juste à côté du comptoir de prêt.

SYMBOLE DES RELATIONS

La bibliothèque Haskell a été construite en 1904 directement au-dessus de la ligne frontalière entre le Canada et les États-Unis, si bien qu'une partie se trouve au Canada et une autre, aux États-Unis. Pour y entrer à partir du Canada, on peut garer sa voiture dans la rue à Stanstead, du côté canadien, et marcher quelques mètres sur le trottoir, jusqu'à la porte qui se trouve à quelques mètres à l'intérieur de l'État du Vermont.

La bibliothèque a été construite pour servir de lieu de rencontre entre les habitants des deux pays au sein de la communauté, et elle a conservé cet usage et cette symbolique avec le temps. Il y a quelques années, le président Barack Obama l'a citée comme un exemple des liens d'amitié qui perdurent entre le Canada et les États-Unis.

Après les attentats du 11 septembre 2001, les mesures de sécurité ont été resserrées aux frontières, et en particulier dans la région. Mais à ce jour, nul besoin de passer à un poste frontalier pour entrer à la Haskell Free Library and Opera House à partir du Canada, ni en ressortant : seul un douanier américain qui monte la garde à bord de son camion témoigne de la présence sécuritaire.

L'élégant étranger que les employés avaient remarqué dans la bibliothèque était Alexis Vachlos, Montréalais alors dans la mi-trentaine aux nombreux antécédents judiciaires, allant du vol qualifié à l'aide d'une arme à feu aux voies de fait et à l'introduction par effraction.

« Après que Jaime Ruiz eut quitté la salle de bains, Alexis Vachlos [...] a récupéré les armes à feu [...], il est sorti de la bibliothèque et il est retourné au Québec à pied. »

- Extrait d'un document déposé à la Cour de Burlington

Les complices ne semblent pas avoir été interceptés par les services frontaliers, puisqu'ils ont pu importer au moins une autre cargaison. La procédure allègue qu'un mois plus tard, M. Vachlos a « introduit illégalement [des] armes au Québec à partir du Vermont à la marche en passant par une section éloignée du nord-est » de l'État.

VICTIME DE SA NOTORIÉTÉ

Lundi, au palais de justice de Burlington, le Montréalais de 40 ans a plaidé coupable à des accusations relatives à l'importation illégale d'une centaine d'armes à feu. Son avocat n'a pas rappelé La Presse.

À la bibliothèque Haskell, on espère qu'une fois la sentence rendue, on n'entendra plus parler de cette affaire qui fait mauvaise presse à l'établissement et qui continue à alimenter une notoriété dont les employés et les habitants aimeraient bien se passer.

Nancy Rumery raconte qu'il n'est pas rare de voir des autobus de touristes débarquer pour visiter et prendre des photos, en particulier de la ligne noire qui traverse le plancher au beau milieu des tables et des étagères, marquant la séparation entre le Québec et le Vermont.

Plus récemment, dit-elle, ce sont des familles aux origines ethniques diverses qui viennent passer plusieurs heures pour rencontrer leurs proches qui vivent aux États-Unis, mais qui, « en raison des politiques de Donald Trump en matière d'immigration », ne souhaitent pas nécessairement traverser la douane.

« Ce sont des gens très gentils, ils partagent de la nourriture avec nous, c'est très beau ce qu'ils font... Mais pour n'importe quelle famille, de venir ici et de s'asseoir pendant des heures... c'est beaucoup pour nous. »

- La bibliothécaire Nancy Rumery

Elle convient que Stanstead, de sa proximité avec la frontière, a un historique de toutes sortes de trafics, et qu'au moins un cas de passeurs de migrants à travers la bibliothèque a même fait la manchette dans le passé. Mais le cas du trafic d'armes était une autre paire de manches : « Pourquoi passer par ici ? Pourquoi ne pas passer par un champ, une forêt ou l'un des chemins qui ne sont pas patrouillés ? », lance l'une de ses collègues, incrédule.

« Nous sommes une réelle bibliothèque, destinée à la communauté locale, renchérit Mme Rumery. Il y a des livres en français, des livres en anglais, c'est une porte vers du contenu culturel. Et ce n'est pas une communauté fortunée. Donc pour plusieurs, c'est le seul moyen d'avoir accès à internet haute vitesse. »

« Quand finalement il recevra sa sentence, les gens vont revenir encore, lance-t-elle avec un soupir. Mais j'espère que lorsqu'il sera envoyé en prison, on pourra arrêter d'en parler. »

Les armes passées par la bibliothèque

7 Glock 9 mm

2 Smith & Wesson calibre.38

1 Glock.40

3 Walther calibre.22

1 Ruger calibre.38

4 Beretta 9 mm, modèle PX4-Storm

1 Beretta.40 modèle PX4-Storm

1 Ruger 9 mm