Une véritable bombe secoue les corridors des palais de justice de la région de Montréal depuis mercredi. Le juge de la Cour Supérieure Guy Cournoyer a commencé à se récuser de tous ses procès d'individus reliés au crime organisé, dont le Hells Angel Salvatore Cazzetta, parce que sa conjointe est procureure au nouveau Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales.

Le magistrat, connu notamment pour avoir été procureur aux commissions Poitras et Gomery avant d'être nommé juge, s'est d'abord retiré mercredi du procès de Werner Kyling et de ceux qu'on accuse d'être ses complices du « cartel de Bedford », arrêtés en 2005 et accusés d'avoir produit et exporté de la marijuana vers les États-Unis.

Puis, jeudi matin, le juge Cournoyer a fait la même annonce dans le procès séparé où Salvatore Cazzetta doit comparaître au terme de l'opération Machine menée en 2009 contre un présumé réseau de trafiquants de cigarettes installé sur la réserve amérindienne de Kahnawake, sur la rive sud de Montréal.

Onze ans après la frappe policière Cure, le dossier Kyling s'éternise, parce que les accusés ont déjà eu un premier procès, à l'issue duquel ils ont été reconnus coupables. Or, ils ont ensuite porté leur cause en appel et obtenu la tenue d'un nouveau procès.

Quant à Machine, cela fera bientôt sept ans que l'opération a eu lieu et que les principaux suspects n'ont toujours pas été traduits devant les tribunaux.

Le juge Cournoyer préside deux autres causes d'individus accusés pour grande criminalité, dont certains soupçonnés d'être les complices de Cazzetta. Il ne s'est pas encore récusé officiellement dans ces dossiers, mais a annoncé qu'il le ferait.

Les causes de Cazzetta et de Kyling ont été reportées à l'ouverture du terme et on ignore si le magistrat qui les entendra devra tout recommencer à zéro.

« Les délais sont déjà importants en Cour supérieure, et là, on vient d'en rajouter une couche. Ce sont de gros dossiers qui s'éternisent et qui étaient déjà mûrs pour des requêtes en arrêt des procédures pour la longueur des délais. Cela coûte une fortune aux contribuables », fulmine un avocat sous le couvert de l'anonymat.

LETTRE-TORPILLE

Mardi, le juge Cournoyer a reçu une lettre du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales, né de la fusion des équipes de procureur spécialisées dans la lutte au crime organisé, à la corruption et à la malversation, qui lui demandait de se retirer du procès Kyling. 

La missive reprochait au juge d'avoir, alors qu'il était avocat, représenté le chroniqueur de La Presse Yves Boisvert en 2006, pour une affaire d'interdiction de publication, après que le journaliste eut écrit des textes sur cette affaire - aucune accusation n'a été déposée. Mercredi, le juge Cournoyer a rejeté cet argument, mais a décidé de lui-même de se récuser en raison de sa conjointe procureure. La fusion de plusieurs bureaux fait en sorte qu'elle se trouve depuis cet hiver dans le Bureau de la grande criminalité.

« La lettre a été envoyée alors que la poursuite devait me remettre des [déclarations sous serment importantes]. C'est une astuce délibérée pour mettre le juge dans une situation intenable et le forcer à partir », accuse de son côté Me Thomas Walsh, avocat de Werner Kyling.

« Nous prenons acte de la décision du juge. Les dossiers vont cheminer », a simplement réagi Me Jean-Pascal Boucher, du bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales.

Au début de février, dans le procès Kyling, le juge Cournoyer avait rendu un jugement imposant une limite de temps aux avocats pour présenter leur preuve et leurs requêtes.

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