La grande majorité des adolescents en fugue chaque année à Laval proviennent du centre jeunesse. Uniquement en 2015, 33 jeunes filles ont été exploitées sexuellement durant leur fugue, révèle une compilation du corps policier transmise à La Presse.

Le cas des deux adolescentes fréquentant le Centre jeunesse de Laval qui ont été portées disparues ces derniers jours - Sarah Hauptman et Kelly Martin-Nolet (retrouvée saine et sauve, hier) - n'est que la pointe de l'iceberg.

L'an dernier, sur 918 fugues signalées au Service de police de Laval (SPL), 734 fugueurs étaient hébergés au centre jeunesse.

Un peu moins de la moitié des fugueurs étaient des jeunes filles. Comme certaines fuguent plus d'une fois, on parle de 127 fugueuses sur le territoire lavallois en 2015. De ce nombre, une trentaine ont été exploitées sexuellement durant leur disparition (26 %), selon le SPL.

Les adolescentes victimes de violences sexuelles au moment de leur fugue pourraient être encore plus nombreuses. « On s'entend qu'il y a un chiffre noir. Des jeunes filles ne portent pas plainte », explique l'inspecteur aux crimes majeurs au SPL, Alain Meilleur.

Le corps policier observe une hausse marquée des cas de fugue de jeunes confiés au centre jeunesse ces dernières années. Les signalements ont presque doublé en cinq ans, passant de 398 en 2010 à 734 l'an dernier.

Nouvelles techniques de recrutement

Les proxénètes ont raffiné leurs techniques de recrutement depuis quelques années, explique l'inspecteur Meilleur. « C'est sûr que le centre jeunesse est un lieu ciblé par les gens qui veulent exploiter sexuellement des jeunes filles. Les proxénètes vont chercher par tous les moyens possibles à avoir accès à ces adolescentes vulnérables », souligne le policier.

Se servir de filles placées en centre jeunesse pour en recruter d'autres est l'un des stratagèmes utilisés, note-t-il. Toutefois, depuis quelques années, le principal lieu de recrutement, c'est les réseaux sociaux, insiste-t-il.

Filles cachées dans l'Ouest canadien

Les proxénètes donnent aussi plus de fil à retordre qu'avant aux policiers à la recherche des jeunes fugueuses. « On en retrouve maintenant jusque dans l'Ouest canadien, à Winnipeg, à Calgary et Edmonton, alors qu'avant, on les retrouvait plus de l'autre côté du pont, à Montréal, ou encore en Ontario dans la région de Niagara Falls. C'est préoccupant », affirme l'inspecteur aux crimes majeurs.

Les fugues sont des dossiers prioritaires au SPL, assure l'inspecteur Meilleur. « Que l'adolescente ait fugué cinq fois cette année ou une seule, on va la chercher avec la même énergie. C'est d'ailleurs un indice pour découvrir si la jeune fille est sous l'emprise d'un proxénète. »

« Fugue-t-elle régulièrement ? Disparaît-elle longtemps chaque fois ? Si la réponse est oui, on est souvent devant des cas d'exploitation sexuelle. »

Depuis 2011, le SPL a implanté le programme Les Survivantes, qui consiste à mettre en contact d'anciennes prostituées avec des jeunes filles exploitées sexuellement. Deux policières y travaillent à temps plein. Chaque fois qu'une adolescente est de retour au centre jeunesse après une fugue, ces policières la rencontrent pour déterminer si elle a été victime d'exploitation et si elle veut porter plainte.

Au Centre jeunesse de Laval, on a d'abord refusé de commenter la situation, hier. « On travaille en étroite collaboration avec la police dans ce dossier. Sachez que la majorité des fugues n'ont rien à voir avec l'exploitation sexuelle », a finalement dit Paula Beaudoin, la porte-parole du Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval, auquel est lié le centre jeunesse, en fin de journée.

PRÉCISION

Dans une version de cet article publié le 4 février dans La Presse+, nous avons écrit qu'une centaine d'adolescentes du Centre jeunesse de Laval ont été exploitées sexuellement lors d'une fugue. Le chiffre est plutôt de 33, a précisé le Service de police de Laval dans la journée.