Malgré l'annonce de sa mort par différentes sources, l'enquête des forces de l'ordre québécoises sur Arthur Porter est loin d'être terminée. Les autorités veulent non seulement obtenir des preuves tangibles de la mort de M. Porter, mais aussi continuer à suivre la piste de l'argent de l'ex-dirigeant hospitalier, qui avait mené des tractations financières avec l'entourage de l'ancien narcodictateur Manuel Noriega pendant son incarcération au Panama, a appris La Presse.

C'est le biographe officiel d'Arthur Porter qui a annoncé le premier que celui-ci avait succombé au Panama dans la nuit de mardi à hier. Son médecin «m'a informé tôt ce matin qu'il était mort d'un cancer des poumons avec métastases», a écrit Jeff Todd, hier sur les réseaux sociaux. La maladie s'était propagée «à ses os et son foie», dit-il.

L'information a été confirmée par Jonathan Garcia, porte-parole de l'Instituto oncológico nacional de Panama. «Il est arrivé le 8 mai dernier à minuit et est décédé hier [mardi] à 23h»

Prudence pour l'instant

Mais du côté du Directeur des poursuites criminelles et pénales, on jouait de prudence, hier, après cette annonce. Il faudra plus qu'un biographe et le porte-parole d'un établissement de santé pour conclure hors de tout doute que l'accusé n'est plus de ce monde.

«Nous n'avons pas encore eu de confirmation à ce sujet, mais je peux dire que nous allons nous assurer d'avoir une confirmation et que ce soit corroboré», a déclaré Jean-Pascal Boucher, porte-parole de l'organisme.

Soupçonné d'être au coeur de «la plus importante fraude de corruption de l'histoire du Canada» par l'Unité permanente anticorruption (UPAC), Arthur Porter a la réputation d'être un fin renard qui a menti plus d'une fois et réussi à berner les autorités de différents ordres de gouvernement, selon la thèse de la poursuite.

Selon nos informations, des canaux officiels ont été activés de toute urgence, notamment avec l'aide des bureaux de liaison de la GRC, pour obtenir des preuves indiscutables de la mort de M. Porter. Si le résultat n'est pas satisfaisant, il serait possible d'envoyer des policiers québécois sur place pour faire des vérifications.

Avec l'entourage de Noriega

De leur côté, les procureurs du Bureau de lutte aux produits de la criminalité sont toujours chargés de récupérer au profit de l'État la plus grande part possible des 22,5 millions qui auraient été versés en pots-de-vin pour truquer l'appel d'offres du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). En plaidant coupable à des accusations de reyclage des produits de la criminalité, la conjointe d'Arthur Porter a consenti à la saisie d'argent et de propriétés d'une valeur de 5,5 millions.

Pour la suite, policiers et procureurs vont vraisemblablement s'intéresser à une mystérieuse entreprise fondée le 4 juin 2014 au Panama par Arthur Porter, pendant qu'il était incarcéré.

La compagnie BQ Holding n'a pas d'existence sur le web en dehors du registre des entreprises panaméen. Le registre indique qu'Arthur Porter est l'un des administrateurs, en plus d'être trésorier et secrétaire du conseil.

Son avocat au Panama, Ricardo Bilonick, est inscrit comme président de la compagnie. Il n'a pas répondu aux messages que nous lui avons adressés, hier. Me Bilonick a longtemps représenté l'ancien dictateur panaméen Manuel Noriega lors des procédures pour son extradition vers les États-Unis, où il a été condamné pour trafic de drogue massif, gangstérisme et blanchiment d'argent.

Un autre administrateur de l'entreprise est l'analyste politique panaméen Mario Rognoni, ancien ministre du Commerce sous le règne de Noriega. M. Rognoni s'est publiquement porté à la défense de l'ancien dictateur à maintes reprises, encore récemment, et il a précisé être en contact avec lui. Il a aussi pris la plume pour défendre Arthur Porter dans une lettre ouverte. Il se disait honoré d'avoir rencontré un homme de sa trempe lors d'une visite à la prison. Il n'était pas disponible pour parler à La Presse hier.

Selon nos informations, il y aurait eu des transferts d'argent en lien avec BQ Holding au cours de la dernière année. Toutefois, impossible de dire à quelle fin pour l'instant.

M. Porter, oncologue de formation, avait annoncé il y a près de trois ans qu'il s'était lui-même diagnostiqué un cancer des poumons.

Depuis, il a été suivi par le célèbre - mais controversé - médecin britannique Karol Sikora.

«Je l'avais visité il y a quatre semaines et l'avait appelé certaines fins de semaine précédant sa mort», a-t-il expliqué à La Presse. Son corps s'est montré «très réceptif» au traitement, mais il présentait des problèmes «d'électrolytes et au foie» dans les dernières semaines, toujours selon le Dr Sikora.

Ce dernier a tenu à défendre son patient et ami, proclamant que c'était «un jour triste pour les droits de la personne au Canada».

À l'Instituto oncológico nacional, le Dr Roberto López coordonnait les soins au jour le jour, sous la supervision de son confrère britannique. C'est «dans la dernière semaine» que tous ont compris qu'il n'y avait plus d'espoir de guérison, a indiqué le médecin au téléphone.

Arthur Porter était détenu dans une prison du Panama depuis son arrestation en mai 2013, à la demande des autorités canadiennes. Le Panama a accepté de l'extrader début 2015, mais M. Porter contestait toujours l'extradition au moment de sa mort.

Au Québec, peu de réactions officielles à son décès se sont fait entendre.

«Le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) souhaite transmettre ses condoléances à la famille du Dr Porter», a écrit l'hôpital montréalais dans un communiqué, en milieu de journée. «Le CUSM n'émettra aucun autre commentaire.»

Le bureau du premier ministre Couillard, qui porte comme un boulet ses liens passés avec Arthur Porter, n'a pas rappelé La Presse, hier.

Le ministère fédéral des Affaires étrangères s'est borné à dire qu'il avait été informé «de la mort d'un citoyen canadien au Panama».