La proportion de femmes inuites incarcérées à la prison Tanguay est anormalement élevée. La Presse a passé du temps dans la rue avec une ex-prisonnière.

Elsie Partridge est penchée sur son cahier à dessin, assise à même l'asphalte. La mine de son crayon trace un horizon flou. Quelques nuages. Des lignes arrondies pour les oiseaux. Puis apparaissent les détails: un homme qui traîne un phoque dans la neige, un chien, un traîneau, un igloo.

Elle signe son oeuvre, marque la date et arrache la feuille. «Voilà. Ce sont mes souvenirs de chez moi.»

Chez elle, c'est Kuujjuaq, dans le Grand Nord québécois, où elle dit ne pas être retournée depuis près de 20 ans.

Comme la moitié des 1200 Inuits établis à Montréal, Elsie vit dans la rue. Et comme 20% des Inuits itinérants, elle a déjà fait de la prison.

Depuis quelques années, ils sont de plus en plus nombreux à quitter le Nord pour Montréal. Parce qu'ils n'ont pas de place où habiter dans leurs villages aux prises avec une sévère crise du logement. Parce qu'ils ne mangent pas à leur faim. Parce qu'ils viennent voir un médecin et ne repartent plus jamais ou parce qu'ils fuient une relation violente...

Plus ils migrent vers le sud, plus ils souffrent de pauvreté, plus on en compte dans la rue et plus leur proportion augmente derrière les barreaux. Surtout chez les femmes.

À Tanguay, au moins 19 des 147 détenues viennent du Nunavik.

Un cercle sans fin

«Ils ne sont pas bien munis pour la vie urbaine», explique Sylvie Cornez, consultante à la Société Makivik, qui défend les droits des Inuits. La grande majorité ne parle pas français, ce qui limite de beaucoup les possibilités d'emploi. Sans compter qu'ils connaissent peu les services disponibles pour les aider.

«Leurs repères, ce sont les membres de leur communauté», dit Mme Cornez. Et comme plusieurs vivent déjà dans la rue, les nouveaux venus flânent avec eux. Ils consomment, puis commettent des délits, sautant à pieds joints dans un cercle sans fin.

Un cercle auquel ils deviennent si habitués qu'ils ne veulent pas en sortir, déplore Lena Onalik, intervenante au Centre d'amitié autochtone de Montréal et elle-même originaire du Grand Nord.

«Ils se font avaler par la ville», dit-elle. Ils tombent dans la drogue et dans l'alcool. Ils se battent ou troublent l'ordre public. Puis: direction prison.