Gangrené par les gangs. Théâtre de manifestations qui dégénèrent. Montréal a mauvaise réputation. Et pourtant, la métropole n'arrive pas en tête du palmarès de la criminalité des villes et des municipalités du Québec réalisé pour le compte de La Presse.

En fait, c'est en région que la situation est la plus inquiétante, révèle notre classement inédit.

La Presse a fait appel à Rémi Boivin, professeur adjoint de l'École de criminologie de l'Université de Montréal, afin de déterminer où, au Québec, la population court le plus de risques d'être victime d'un crime grave. Il a analysé pour nous les statistiques de criminalité de 29 des 30 corps de police municipaux de la province ainsi que des 86 postes de la Sûreté du Québec (SQ). Ses résultats, basés sur une combinaison du taux de criminalité et de la gravité moyenne des crimes commis, défient les préjugés.

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«J'ai voulu vérifier le mythe disant que les grandes villes étaient plus dangereuses que les régions. Avec la mesure de gravité que j'ai développée, on découvre avec surprise que des secteurs ruraux trônent au sommet du palmarès», explique le chercheur (voir méthodologie).

Ainsi, au Québec, c'est dans certains secteurs de l'Outaouais, du Nord-du-Québec, des Laurentides et de Lanaudière que les risques d'être victime d'un crime grave sont les plus élevés. Rappelons toutefois que le taux de crimes déclaré par la police est en chute constante au Canada depuis 1991 et que le Québec présente un taux de criminalité plus bas que la moyenne nationale.

Montréal cinquième

Alors qu'on associe généralement la criminalité aux zones urbaines, Montréal est la seule grande ville à faire partie de notre top 10. La métropole arrive cinquième sur 115, derrière les municipalités régionales de comté (MRC) de la Vallée-de-la-Gatineau, de Matagami, d'Antoine-Labelle et d'Argenteuil.

La deuxième ville de plus de 50 000 habitants au classement est Longueuil, avec une 17e place, suivi de Saint-Jérôme, quatre rangs plus bas.

Autre fait marquant: trois des dix pires villes et MRC au classement se situent dans la région des Laurentides.

«Contrairement à la croyance populaire, la grosseur d'une ville ou d'un territoire n'est pas en soi un facteur qui joue sur le taux de criminalité ou sur le taux de violence. On observe généralement des problèmes plus importants de violence dans de petites villes que dans les métropoles canadiennes», explique le criminologue Marc Ouimet, lui aussi de l'Université de Montréal.

À preuve, c'est un secteur rural qui trône en tête de notre classement. La MRC de la Vallée-de-la-Gatineau, qui s'étend du nord de Gatineau jusqu'au parc de La Vérendrye, regroupe 17 municipalités et 2 réserves autochtones. Sa population ne dépasse pas les 20 000 habitants.

La pire au Québec?

Maniwaki, principale ville de la MRC, a été le théâtre de deux meurtres en moins d'un an. Un fils a tué son père. Puis, quelques mois plus tard, en janvier 2013, un homme a assassiné sa conjointe.

«Tu as autant de chances de te faire tuer à Saint-Eustache ou Rawdon qu'à Montréal, illustre M. Ouimet. Il ne faut pas oublier qu'essentiellement, les victimes de crimes violents connaissent leur agresseur. C'est un proche dans la famille, au travail, etc.»

«Un meurtre, c'est souvent un crime ciblé. Ça va augmenter la gravité des crimes dans un secteur, mais ce n'est pas un événement qui amène un risque pour toute la population», ajoute le sergent Benoît Richard, de la Sûreté du Québec.

Ces meurtres ne sont toutefois pas les seuls responsables de la mauvaise performance de la Vallée-de-la-Gatineau.

En deux ans, le nombre d'agressions sexuelles a plus que doublé, passant de 22 l'an dernier à 46 cette année. «C'est une augmentation substantielle», concède le sergent Richard. Le nombre de voies de fait a aussi augmenté. C'est sans compter un nombre élevé d'entrées par effraction (234). Alors que dans la province, les cambriolages constituent environ 11% des infractions, ils comptent pour 23% dans la Vallée-de-la-Gatineau.

L'ajout d'une dizaine de policiers l'an dernier pour couvrir la réserve du Lac-Rapide pourrait expliquer la hausse du nombre de crimes recensés. «On y assure maintenant une présence quotidienne. Ça peut générer des statistiques», avance le sergent Marc Tessier, de la SQ.

Plusieurs membres de cette communauté algonquine vivent dans des conditions d'extrême pauvreté. La consommation d'alcool et de drogues y est un fléau.

L'alcool fait aussi des ravages ailleurs dans cette MRC. Au Lac-Cayamant, un village situé à 50 km au sud-ouest de Maniwaki, l'histoire d'une grand-maman heurtée à mort en plein jour par un chauffard possiblement soûl a ébranlé cette communauté tissée serré. Le procès de l'accusé, qui vit à un jet de pierre de la famille de la victime, pour conduite avec facultés affaiblies causant la mort et délit de fuite s'est tenu récemment (voir autre texte dans La Presse+).

«On fait beaucoup de prévention, en plus des barrages routiers tout au long de l'année. Et pas juste sur la 117 et la 105, mais aussi sur les routes secondaires pour coincer les gens soûls qui évitent les routes principales», fait valoir le sergent Tessier. Signe que ces opérations portent leurs fruits? Les dossiers de conduite avec les facultés affaiblies, assez stables dans la MRC - 86 en 2010, 72 en 2011 et 75 en 2012 -, ont connu une forte baisse l'an dernier (46 cas).

La saison de la chasse entraîne aussi son lot de crimes dans la réserve faunique de La Vérendrye. Plus tôt cet automne, un chasseur a été accusé de tentative de meurtre, de menaces de mort et de voies de fait après avoir ouvert le feu sur deux autres adeptes de ce sport. Un conflit concernant un territoire de chasse pourrait être à l'origine de l'incident.

«Ici, le territoire de chasse, c'est sacré. Ça se transmet de père en fils, souligne le sergent Tessier. Prends une simple chicane entre chums ou à l'intérieur d'une famille, tu y ajoutes des armes à feu et de la boisson, les ingrédients sont réunis pour que ça tourne au vinaigre.»

Le mystère des Laurentides

Comme nous l'avons évoqué plus haut, trois des dix pires villes et MRC au classement se situent dans la région des Laurentides, soit Antoine-Labelle (Mont-Laurier), Argenteuil (Lachute) et Laurentides (Sainte-Agathe-des-Monts). Pourquoi cette surreprésentation?

«Il y a des secteurs qui sont quand même assez pauvres. On ne se le cachera pas», note le sergent Benoît Richard. Pour comprendre, dit-il, «il faut faire un portrait de l'ensemble de ces municipalités. Par exemple, il y a eu une fermeture d'usine dans les dernières années à Lachute. Oui, ç'a un impact. Un impact sur les salaires, un impact sur le stress. Nous, on répond à ces besoins-là. Il faut en tenir compte. Ce sont des choses qui amènent les gens à être un peu plus insécures, et on peut se retrouver dans des situations où il y a plus de crimes qui surviennent».

Selon un portrait régional dressé en 2011 par le ministère de la Sécurité publique, la région a connu une hausse du nombre de crimes contre la personne de 32% en 10 ans, ce qui est contraire à la tendance québécoise. Les Laurentides sont au troisième rang en ce qui concerne le taux de tentatives de meurtre et en quatrième position pour le taux de voies de fait.

Sur le terrain, les policiers montrent aussi du doigt la culture de cannabis, particulièrement répandue dans la région. «C'est vraiment typique au secteur. Il nous arrive très souvent d'en démanteler, raconte un agent spécialisé dans ce type d'enquêtes. Par contre, c'est très difficile de déposer des accusations. Il faut vraiment prendre le gars la main dans le sac en train de s'occuper des plants pour prouver qu'il est coupable.»

Le chiffre noir de la criminalité

Tout de même, diront certains, il est étrange de voir autant de régions rurales dépasser les grandes villes au classement. L'une des hypothèses avancées par le chercheur Rémi Boivin est que les résidants des milieux ruraux font appel à la police dans les cas plus graves et essaient de gérer les moins graves dans la communauté - la police étant le dernier recours.

Il est aussi possible que la police fasse plus d'interventions informelles, entre autres parce qu'elle est plus près des membres de sa communauté et les connaît davantage.

«On appelle ça le chiffre noir de la criminalité, explique le sergent Richard. C'est évident que tous les crimes ne sont pas rapportés. Sans pouvoir quantifier le phénomène, on s'en rend compte grâce à notre présence régulière sur le terrain et en travaillant avec nos partenaires locaux.»

Sans compter, ajoute le policier de la SQ, «qu'il y a encore beaucoup de mauvaise conception où les gens se disent: je ne veux pas déranger les policiers juste pour ça. On travaille fort pour que gens dénoncent quand il y a un crime».

Selon le sergent Richard, le tourisme a aussi une part de responsabilité dans la mauvaise performance au classement de certaines MRC des Laurentides, de Lanaudière et de l'Outaouais.

«C'est des régions touristiques. Les gens ont des chalets. Dans certains secteurs, la population double l'été. Plus t'as de monde, plus t'as de crimes. C'est sûr que ç'a une incidence sur le taux de criminalité. Au-delà de ça, l'été, il y a des fêtes, des partys au camping. Il peut y avoir consommation d'alcool. Dans ces moments-là, les comportements changent. Et là on parle souvent de crimes contre la personne, donc des crimes qui ont une gravité assez forte.»

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