Au terme de deux ans d'enquête, les agents de protection de la faune ont interpellé hier une trentaine de braconniers soupçonnés d'avoir exploité près de Trois-Rivières un lucratif commerce de pêche illégale de l'esturgeon jaune, une espèce «quasi menacée» dont plusieurs populations dans le monde ont été décimées par la surexploitation.

L'opération, baptisée Caméléon, a mobilisé 78 agents du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Pour ne pas attirer l'attention, ceux-ci s'étaient réunis à Shawinigan, à 50 kilomètres de leur cible, au cours de la nuit. Ils se sont ébranlés en longue procession, avec camions, remorques, bateaux et unités canines, pour ensuite fondre sur leurs cibles, sur le coup de 6h.

Ils ont interpellé 28 pêcheurs commerciaux ou sportifs qui avaient chacun leur réseau de revente illégale d'esturgeon jaune. Certains avaient des permis pour exploiter commercialement la ressource, mais dépassaient astronomiquement leurs quotas. «C'est sans précédent pour la protection de l'esturgeon au Québec», s'est exclamé Philippe Brodeur, biologiste au Ministère, après l'opération.

Un poisson très prisé

La population de poissons d'où le groupe pigeait son butin, dans le couloir fluvial du Saint-Laurent et le lac Saint-Pierre, est l'une des dernières en santé dans le monde. «Le Québec a entre ses mains un véritable joyau. Ailleurs dans le monde, la plupart des populations sont à statut précaire», a expliqué M. Brodeur.

L'esturgeon jaune est un poisson très prisé qui peut se vendre 40$ le kilo sur le marché. Le commerce illégal mis en place par le groupe avait cours depuis des années, selon les autorités: environ 1250 esturgeons, soit 8,2 tonnes de poissons, auraient été pêchés illégalement.

Les braconniers ciblés font face à 320 chefs d'accusation. S'ils sont reconnus coupables, ils sont passibles d'amendes qui totalisent près de 400 000$. Quatre bateaux, une motoneige, des ordinateurs et du matériel de pêche ont été saisis, en plus de 278 kg d'esturgeon, une cinquantaine de canards et une quantité indéterminée de caviar.

Des filets qui étaient à l'eau dans le fleuve ont aussi été récupérés par les autorités. Quatre esturgeons qui y étaient prisonniers ont été libérés.

Marijuana et chevreuils

À au moins deux endroits, les agents qui perquisitionnaient ont découvert des cultures de marijuana et appelé la Sûreté du Québec en renfort.

Selon le Ministère, certains des braconniers chassaient aussi illégalement le chevreuil. Chez l'un d'eux, les agents ont saisi des collets à coyote qui auraient été installés beaucoup trop haut et qui servaient plutôt à prendre au piège des chevreuils.

Les agents de protection de la faune qui participaient à l'opération avaient réservé une surprise à leurs chefs: ils se sont présentés devant les médias avec une casquette rouge portant l'inscription «Dans la mire du gouvernement». Québec a en effet annoncé d'importantes compressions dans le budget du Ministère à la fin de l'été, et certains agents sur place disaient craindre qu'il soit impossible dans le futur de mener des opérations comme celle d'hier, qui a nécessité 8000 heures d'enquête depuis deux ans.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Un important réseau de braconniers oeuvrant dans le commerce de poissons a été demantelé par les agents de la faune. L'un des suspect a été appréhendé pour être interrogé.