Un cadre supérieur du ministère de la Sécurité publique qui s'était acoquiné avec un fournisseur informatique serait intervenu de façon irrégulière pour favoriser la compagnie dans ses manoeuvres visant à obtenir un contrat de nulle autre que l'Unité permanente anticorruption (UPAC) elle-même, selon des documents judiciaires rendus publics aujourd'hui.

En juin dernier, l'UPAC avait arrêté Abdelaziz Younsi, directeur des technologies informatiques du ministère, en même temps que Mohamed El-Khayat, un des co-propriétaires de la firme Informatique EBR, à Québec.

Les deux quinquagénaires sont accusés d'avoir mis sur pied un stratagème frauduleux dans le cadre de l'octroi d'un contrat public de plusieurs millions pour l'achat d'ordinateurs. 

Un tribunal a levé mercredi l'ordonnance de non-publication qui couvrait les déclarations assermentées des policiers, rédigées afin de justifier les perquisitions  dans cette affaire.

Un appel étonnant

Un enquêteur de l'Escouade Marteau, le bras armé de l'UPAC, y explique que l'enquête a débuté après une dénonciation anonyme reçue sur la ligne 1-888 de l'organisme. En commençant leur enquête sur messieurs Younsi et El-Khayat, les enquêteurs ont découvert qu'EBR avait déjà fourni du matériel informatique à l'UPAC.

Ils se sont aussi rappelé un épisode étrange : en 2013, Abdelaziz Younsi avait téléphoné directement à un employé de l'UPAC pour lui dire que la compagnie IBM voulait lui présenter un logiciel de gestion de grands volumes de données appelé « Big Data ».

L'employé avait été surpris, car un cadre d'un aussi haut niveau que Younsi l'appelle à ce sujet, ce qui était complètement inhabituel. Mais les gens de l'UPAC avaient tout de même accepté de rencontrer exceptionnellement les gens d'IBM, ce qui était jugé correct puisqu'ils étaient inscrits au registre des lobbyistes.

En arrivant au rendez-vous, les gens de l'UPAC avaient eu la surprise de voir sur place un représentant d'EBR, dont la présence n'avait jamais été annoncée. Il était visiblement impliqué dans le projet de soumission (EBR agit comme revendeur intermédiaire au Québec pour les fabricants de produits informatiques). Les employés de l'UPAC ont refusé de parler directement au représentant d'EBR, puisqu'il n'était pas inscrit au registre des lobbyistes, mais celui-ci est revenu deux fois à la charge par courriel. Dans un de ses messages, il disait s'occuper de faire un suivi sur l'offre de produit d'IBM et incluait Abdelaziz Younsi en copie conforme.

L'affaire était tombée dans l'oubli à l'époque. Mais après avoir reçu la dénonciation anonyme par téléphone, les enquêteurs de l'UPAC ont découvert d'autres liens préoccupants entre Abdelaziz Younsi et EBR.

Un subalterne de Younsi au ministère de la Sécurité publique leur a raconté comment, alors qu'il était en discussion avec une entreprise pour l'achat de bracelets électroniques de surveillance, son patron lui avait ordonné d'aller rencontrer un représentant d'EBR au sujet d'un produit équivalent.

Le fonctionnaire avait été déçu du représentant d'EBR, qui ne connaissait rien à cette technologie, mais il avait ensuite été réprimandé par Younsi pour ne pas lui avoir montré assez d'égards.

Fausse comptabilité

Une autre fonctionnaire a parlé d'un appel d'offres pour l'achat d'ordinateurs remporté par EBR en 2011, au coût de 3,7 M $, devant deux autres concurrents. C'est ce contrat qui a mené aux accusations.

EBR vendait les ordinateurs au ministère à moins de 1000 $ l'unité. Ce prix compliquait la transaction puisque les règles comptables du ministère interdisent d'amortir sur plusieurs années les achats de moins de 1000 $.

Selon la fonctionnaire, Abdelaziz Younsi avait proposé comme solution de gonfler les factures artificiellement à plus de 1000 $ en échange d'un crédit qui serait accumulé par le ministère auprès d'EBR et utilisable plus tard.

Un employé a raconté à la police que le crédit s'accumulait sans jamais être utilisé. Quand on demandait à Abdelaziz Younsi ce qu'il en advenait, il disait : « C'est entre mes mains » ou prétendait que le crédit avait déjà servi à un autre programme.

C'était faux, selon la police. En perquisitionnant au ministère, l'UPAC a découvert le document de comptabilité préparé pour Younsi, qui démontrait que les factures avaient été gonflées artificiellement de 400 000 $ sans que le ministère ne récupère son crédit. La manoeuvre se serait donc traduite par une perte sèche de près d'un demi-million pour l'État.