Les trois évadés d'Orsainville ne semblaient pas bénéficier d'un réseau solide d'organisation et ont commis une erreur fatale en restant ensemble dans la même planque, selon Raymond Boulanger. L'homme en sait quelque chose puisqu'il s'est évadé deux fois et a vécu 18 mois en cavale entre Montréal et la Colombie en passant par Saint-Sauveur.

Les évasions de prison ne surprennent jamais Raymond Boulanger. «Quelqu'un qui fait face à une sentence à vie n'a plus rien à perdre. Le choix n'est pas difficile. Surtout si t'as les moyens de le faire», dit celui qui a passé 18 ans derrière les barreaux pour avoir importé 4000 kilos de cocaïne en avion de la Colombie jusqu'à Casey, en Haute-Mauricie.

Lorsqu'il a été arrêté le 18 novembre 1992, il n'en était pas à ses premiers faits d'armes. Le pilote né à Rimouski a commencé à transporter de la drogue pour les cartels colombiens dans les années 70, ce qui l'a amené à côtoyer le célèbre trafiquant Pablo Escobar et à travailler pour la CIA. Il bénéficiait donc d'un réseau de contacts et l'argent n'était pas un problème.

Le plus difficile n'est pas de s'évader. Une fois de l'autre côté des murs de la prison, le vrai défi est la cavale. Si Yves Denis, Serge Pomerleau et Denis Lefebvre ont réussi à s'enfuir en hélicoptère du centre de détention d'Orsainville le 7 juin avec une facilité déconcertante, la suite ne semble pas avoir été aussi bien planifiée, croit le pilote interviewé par La Presse hier.

La plus grande erreur des trois évadés est d'être restés ensemble dans un appartement du Vieux-Montréal où ils ont été arrêtés dimanche. «Rester les trois ensemble, c'est une grande erreur. Ils auraient pu aller dans une pourvoirie ou un chalet, plutôt que de venir se planquer en ville aussi rapidement alors qu'on parlait d'eux partout», dit-il. En plein mois de juin, les hommes auraient facilement pu passer pour des vacanciers sans éveiller les soupçons.

«Même en étant loin de Montréal, ils auraient pu demander à des complices de s'occuper des papiers et des pièces d'identité», affirme Boulanger.

Danger de fuite d'information

Un seul complice peut être suffisant pour des évadés si un réseau de contacts est déjà bien tissé. «Plus il y a de gens impliqués, plus il y a un danger de fuite d'information», ajoute Boulanger.

Dans le cas des évadés d'Orsainville, l'appartement de Montréal aurait été loué par Simon Bédard, un proche des motards. Selon la Sûreté du Québec, l'homme n'est pas considéré comme suspect pour le moment, mais demeure un sujet d'intérêt. La police poursuit toujours son enquête.

«Nous, on avait du monde dans le bureau des passeports pour nous faire des passeports et quand on avait besoin d'information, on avait du monde soudoyé dans les organisations gouvernementales - la police, entre autres», explique M. Boulanger. La clé est l'organisation.

«Pour se faire prendre après deux semaines, je pense qu'il leur manquait un peu de planification», croit Boulanger.

La frontière, «une passoire»

On ignore toujours si les trois évadés complotaient pour quitter le Canada. La fuite à l'étranger n'est pas si simple, souligne Boulanger, même si entrer aux États-Unis n'est pas particulièrement difficile.

«La frontière est une passoire, c'est une joke», dit Boulanger. Il existe certains points de passage stratégiques connus du milieu, comme la réserve amérindienne Akwesasne. Boulanger s'y est rendu à plusieurs reprises pour aller prendre l'avion de Newark vers la Floride lors de sa deuxième cavale.

Cependant, transiter par les États-Unis n'est pas sans risque. Les Américains ne rigolent pas avec les personnes recherchées qui entrent illégalement dans leur territoire. «C'est automatique, ils t'envoient en prison et tu fais ta sentence là-bas avant d'aller faire ta peine au Canada.»

Et en 2014, partir de l'aéroport de Dorval relève de l'exploit avec tous les moyens technologiques. «Ça prend vraiment un bon passeport, on peut facilement détecter les faux... et il y a des caméras avec reconnaissance faciale», ajoute Boulanger.

Boulanger, qui s'est évadé en 1998 et en 2000, avait révélé les détails de ses cavales à notre journaliste Daniel Renaud dans le livre Raymond Boulanger, le pilote mercenaire, publié l'automne dernier quelques mois après sa sortie de prison.

Lors de sa première cavale, il était passé par Montréal et Toronto avant de trouver refuge en Colombie quatre mois après son évasion d'une maison de transition d'Hochelaga.

Lors de sa deuxième évasion, il avait passé tout l'été dans un chalet près de Saint-Sauveur, limitant ses sorties au minimum. «Je suis resté tranquille, mes amis venaient me voir et on jouait aux cartes ou on allait dans la piscine, mais on ne bougeait pas de là», explique-t-il. Il n'allait jamais faire ses courses lui-même.

À l'automne, il s'est installé à Montréal dans un appartement de la rue Sainte-Famille, au coin de la rue Milton, où il a vécu presque une année sans être inquiété.

«J'allais faire mon épicerie, j'allais à la Place des Arts, on se promenait dans le Vieux-Montréal comme tout le monde», affirme-t-il. Au cours de cette année de liberté, il a même fait cinq voyages en Floride.

Il dit ne jamais avoir eu peur de se faire reconnaître dans ces lieux publics, mais il s'était coupé et teint les cheveux par précaution. «Il faut être vigilant, mais rester calme. Si tu es furtif et regardes partout, le monde te remarque», raconte-t-il.

Évasions médiatisées

Les évasions de Boulanger avaient pourtant été médiatisées alors qu'il avait déjà fait parler de lui en 1992, lors de son arrestation. Une photo prise au lendemain de son arrestation, alors qu'il adressait un clin d'oeil à un photographe, lui avait également assuré une certaine notoriété.

«Encore cette semaine, une dame m'a reconnu à l'épicerie et m'a dit: "Faites-moi un clin d'oeil"», ajoute Boulanger en riant.

À la fin de l'été 2001, il a commis une erreur et s'est fait arrêter par un policier. Deux cavales, deux arrestations... mais Boulanger ne regrette rien. «Jamais. J'ai pris des risques et le temps où j'ai été dehors, j'ai vécu des choses. J'ai pas de regrets.»

Deux cavales, deux erreurs

Pour chacune de ses évasions, Raymond Boulanger était convaincu qu'il ne se ferait pas prendre. «On m'a attrapé par accident, des bêtises de ma part», dit-il.

La première fois, il avait réussi à se rendre en Colombie. Mais plutôt que de rester discret au Venezuela, il avait décidé de prendre un vol intérieur en Colombie et était retourné à l'aéroport. «J'aurais dû écouter mon instinct», dit-il. À son arrivée, les services secrets lui mettaient la main au collet. La cavale avait duré 6 mois.

En 2000, deuxième cavale. Pendant 11 mois, il vit une vie quasi normale entre Montréal et un chalet près de Saint-Sauveur. Mais en août 2001, il souhaite faire un transfert de 1000$ à une agence Western Union. «La fille m'a demandé une pièce d'identité; comme un con, je n'ai pas pensé que je n'avais pas besoin de lui en montrer pour des transferts de moins de 2000$», dit-il. Il lui a donné une fausse carte et la femme s'est absentée quelques instants. Dix minutes plus tard, la police venait le cueillir. Ce n'est qu'une fois au poste que le policier a su qu'il venait d'arrêter le fugitif Raymond Boulanger.