Un délateur qui a fait condamner plusieurs motards est à ce point ébranlé par les affaires Davidson et Roberge et craint tellement pour sa vie qu'il aime mieux courir le risque de retourner en prison que de demeurer en liberté.

Sylvain Beaudry, 44 ans, qui vit aujourd'hui sous une nouvelle identité secrète, a rencontré La Presse durant près de trois heures, samedi, contrevenant ainsi à des articles de son contrat de témoin repenti qui stipulent notamment qu'il doit en tout temps agir de façon à ne pas compromettre sa sécurité. Il est très conscient que lorsque ses contrôleurs l'apprendront, il pourrait retourner en prison purger les 32 mois qu'il reste à sa peine. Mais il s'en fiche.

«Je n'ai plus aucune confiance dans le SPVM. Ça fait trois policiers qui se font prendre depuis deux ans. Mon nom traîne dans leurs bureaux et j'ai peur qu'à la fin de sa carrière, un policier se dise: «Ah ben tiens, je vais le donner et me faire une couple de mille avant ma retraite.» Je préfère dire la vérité et retourner en dedans. Je vais faire mon temps et ressortir ensuite, pour recommencer ma vie à zéro», dit-il.

Retourner sa veste sous la pression

Beaudry, ancien membre en règle des Bandidos de Montréal, a été très actif durant la guerre des motards, en particulier à partir de la fin des années 90, multipliant les incendies criminels, passages à tabac de vendeurs à la solde des Hells Angels et complots pour faire assassiner des membres du clan ennemi.

En 2001, il a été arrêté au Nouveau-Brunswick et a reçu la visite de l'ex-enquêteur Benoit Roberge, aujourd'hui accusé d'avoir vendu de l'information aux Hells Angels, et de l'un de ses confrères. Il dit que sa vie a cessé ce jour-là et affirme que Roberge et d'autres policiers lui ont mis de la pression durant 11 mois pour le forcer à devenir délateur, en faisant croire qu'il donnait déjà de l'information à la police. Il a finalement accepté de collaborer et a contribué à l'opération Amigo par laquelle le SPVM a éradiqué les derniers résistants des Bandidos en juin 2002. Douze ans plus tard, c'est l'arrestation de Roberge qui l'incite à parler. Il dit ne jamais avoir voulu être délateur et admet avoir demandé récemment le versement de 1 million en compensation pour tous les préjudices qu'il dit avoir subis, en vain. Il a tout de même décidé de dénoncer les méthodes des policiers qui l'ont entouré durant l'enquête Amigo et a rencontré deux enquêteurs des crimes majeurs du SPVM à ce sujet dernièrement.

Informations sensibles

Beaudry accuse d'anciens enquêteurs d'Amigo d'avoir intentionnellement donné aux Rock Machine et aux Bandidos des informations ou des adresses de motards liés à leurs ennemis, les Hells Angels, dans l'espoir de «provoquer» des choses. Il cite en exemple la résidence de Normand Casper Ouimet à Lavaltrie et celle d'un sympathisant des Rockers, un club-école des Hells Angels, rue Loranger, à Montréal. Il raconte qu'il a été intercepté par les policiers alors qu'il avait l'adresse de Ouimet dans ses poches à l'été 2001. Relâché après quelques heures, il dit que les policiers ont intentionnellement laissé son arme dans son véhicule, mais qu'ils l'ont modifiée pour qu'elle tire un seul coup avant de s'enrayer.

Il ajoute que les policiers en ont aussi profité pour fixer un micro dans son véhicule et que peu de temps après, ils l'ont entendu projeter d'attenter à la vie du Hells Angel Gaetan Comeau qui roulait à côté de lui, sur sa moto, dans Montréal-Nord.

«J'avais mon arme sous ma cuisse. On était en guerre. J'ai dit à un jeune qui m'accompagnait de le tirer, mais il a choké. Après que j'aie retourné ma veste deux ans plus tard, un policier m'a dit: "Tu te souviens de cette fois-là sur la rue Henri-Bourassa. Tu avais un bug dans ta camionnette et on a tout entendu. Je te suivais avec le groupe tactique d'intervention. On espérait que tu tires" », raconte Beaudry.

«Ces policiers-là semaient la pagaille, donnaient des adresses et provoquaient plein de situations pour que les gars se chamaillent entre eux, pour être capables de les arrêter. J'étais reconnu comme un gunman. Ils savaient que j'avais une arme, mais ils me laissaient faire», reproche-t-il.

Le SPVM confirme que ses enquêteurs ont rencontré Beaudry, mais considère que les informations qu'il a données sont peu crédibles ou ne sont pas nouvelles, et que le délateur est avant tout motivé par l'argent. Le commandant Ian Lafrenière ajoute que les allégations faites par Beaudry contre ses enquêteurs ont été vérifiées et rejetées.

«Tout ce que je veux, c'est que la vérité sorte et que justice soit rendue envers ces policiers cowboys», dit Beaudry, qui nie aussi chercher à redorer son blason auprès des motards.

«Ce n'est pas ça qui fera que je n'aurai plus de contrat sur ma tête. J'ai fait mal à trop de monde. Mais j'aime mieux être en prison et avoir juste la porte de ma cellule à surveiller qu'être en dehors et ne pas savoir de quel côté ça va arriver», conclut-il.

Un impact dans un procès pour meurtre?

La sortie fracassante de Sylvain Beaudry pourrait avoir un impact sur la cause de Tony Duguay, un ex-tueur à gages des Bandidos condamné à la prison à perpétuité sans libération conditionnelle possible avant 25 ans de prison pour le meurtre du Nomad Normand Biff Hamel, un ami de Maurice Boucher, tué dans le stationnement d'une clinique médicale de Laval en avril 2000. Après le meurtre, Duguay avait fait des aveux à Beaudry et ce dernier avait témoigné contre lui au procès, et contribué à le faire condamner en décembre 2006.

Or, huit ans plus tard, Beaudry affirme aujourd'hui avoir reçu à l'époque un CD contenant toute la preuve contre Duguay avant son témoignage, ce qui pourrait potentiellement contrevenir aux règles déontologiques et procédurales, et soulever des questions sur le fait que le témoignage puisse avoir été contaminé. Beaudry a conservé l'original de ce CD et l'a remis à un avocat externe mandaté par les avocats de la défense de Duguay vendredi dernier. Il a également fait une déclaration vidéo sous serment d'une durée de deux heures et demie qui pourrait être déposée devant la Cour d'appel à la fin du mois. Il soutient également que des enquêteurs ont «dirigé» certaines parties de son témoignage.

Sylvain Beaudry

44 ans

Ex-membre en règle des Bandidos de Montréal.

Il aurait commis un meurtre à Toronto.

Automne 2001: Il est condamné à sept ans de prison au Nouveau-Brunswick pour le passage à tabac d'un vendeur de drogue.

Été 2002: Il collabore avec la police.

Octobre 2002: Il est condamné à huit ans de prison dans le cadre du projet Amigo.

2003: Il signe son contrat de délateur qui prévoit notamment le versement de 500$ par semaine durant les deux premières années suivant sa libération.

2004: Libéré au sixième de sa peine. Beaudry vit depuis sous une fausse identité et n'a jamais revu son enfant.