Un véritable roman d'espionnage est en train de se jouer au SPVM, où l'un des policiers qui contrôlent le plus d'informateurs dans l'univers des stupéfiants s'est vu retirer précipitamment ses fonctions mercredi. Craignant que son sergent-détective vedette ne soit devenu trop proche du crime organisé, la direction de la police de Montréal a lancé une enquête interne en matière criminelle d'une complexité sans précédent.

Nouvelle commotion au SPVM. La police retire de ses fonctions une superstar de la lutte antidrogue ciblée par une enquête interne en matière criminelle sur la nature de ses rapports avec le crime organisé.

Le sergent-détective en question, connu comme l'un des policiers qui contrôlent le plus d'informateurs dans les milieux criminels au Québec, a été avisé mercredi après-midi qu'il sera «tabletté». Il perd son prestigieux poste au sein de la division de la lutte contre le crime organisé et doit abandonner immédiatement ses nombreuses enquêtes en cours. Il lui sera aussi interdit de communiquer avec ses informateurs, même si aucune accusation n'a été portée contre lui à ce stade.

«Lors de l'affaire Davidson et de l'affaire Roberge, le directeur du SPVM avait mentionné qu'il y avait toujours des enquêtes en cours, que le travail n'était pas terminé. Oui, il y a enquête en cours, un policier a été déplacé. On ne dévoile pas son identité pour l'instant, car il n'est pas accusé. On a 7000 employés qui travaillent à la sécurité des citoyens. Cependant, quand des cas sont signalés, il faut agir. C'est ce qu'on a fait aujourd'hui», explique le commandant Ian Lafrenière, porte-parole du SPVM.

Sur Facebook, le policier en question utilise comme avatar le sigle de Batman et le projecteur qui sert à appeler au secours l'implacable justicier masqué. À l'instar de l'homme chauve-souris, il n'a jamais fait l'unanimité au sein de la police.

La division des affaires internes du SPVM, épaulée par la GRC, a le policier dans la ligne de mire depuis deux ans. Elle a précipité son intervention récemment, après avoir appris que La Presse et TVA enquêtaient depuis plusieurs mois sur la même affaire et s'apprêtaient à en dévoiler les détails.

Selon nos sources, depuis 2009, le SPVM a reçu au moins quatre signalements de policiers qui sonnaient l'alarme au sujet de ce collègue. En dehors des canaux officiels, des enquêteurs avaient mené des enquêtes parallèles, non sanctionnées par la hiérarchie, sur le sergent-détective. Ils ont ensuite montré leurs résultats à la direction.

Tous faisaient état de préoccupations, entre autres touchant les liens qu'entretiendrait l'enquêteur avec ses sources au sein du crime organisé libanais. Deux individus issus des milieux criminels se sont aussi manifestés pour faire part d'allégations du même ordre.

Le Ministère au courant

Dès 2010, alerté par les premiers signalements, le chef Marc Parent a demandé à la Sûreté du Québec de faire des vérifications à ce sujet. A priori, ils n'ont rien trouvé d'incriminant.

Lorsque les signalements sont devenus trop nombreux, la direction du SPVM a été forcée de prendre de nouvelles mesures. Depuis 2008, la loi exige que les corps de police avertissent le ministère de la Sécurité publique lorsque l'un de leurs agents fait l'objet d'allégations criminelles sérieuses. Le 20 février 2012, le SPVM informe donc le Ministère du cas de son enquêteur-vedette.

La division des affaires internes met alors en branle une enquête comme il ne s'en était jamais vu à la police de Montréal. Leur chemin est parsemé d'embûches. Leur cible est reconnue comme un fin renard, l'un des meilleurs enquêteurs en ville. Il est l'idole de plusieurs jeunes agents pour ses faits d'armes et son ardeur au travail. Encore l'automne dernier, son nom était sur toutes les lèvres lorsqu'un présumé trafiquant lui a foncé dessus en voiture, à quelques pas de son bureau de la Place Versailles, et qu'il a tiré un coup de feu pour stopper le véhicule.

«Il a travaillé partout, il connaît du monde partout dans le service. Et si une question est posée à ses sources, ça peut remonter jusqu'à lui», constate un policier au fait du dossier. Pour éviter les fuites, la GRC a donc été appelée en renfort.

L'une des principales interlocutrices à qui les affaires internes auraient voulu parler est une trafiquante de drogue d'origine libanaise qui serait devenue une source contrôlée par l'enquêteur après son arrestation en possession d'un revolver, de munitions, d'ecstasy, de cocaïne et de haschich, en 2003.

La police avait des informations indiquant qu'elle aurait noué une relation intime avec son contrôleur du SPVM tout en continuant à tremper dans l'univers des stupéfiants. Mais la femme est morte en 2006 à Laval, heurtée à quelques pas de chez elle par un chauffard qui a pris la fuite.

Autre difficulté: le policier en question a beaucoup d'ennemis, ce qui fait craindre à certains qu'il ne soit victime de calomnies dictées par la frustration.

«Souvent, les gars partagent leurs infos pour que tout le monde dans l'équipe puisse faire quelques dossiers par semaine. Mais lui ne partageait jamais rien. S'il avait six pistes dans la même semaine, il les gardait toutes pour lui», confie un policier qui a travaillé avec lui.

«Il se met toujours dans le chemin si un autre groupe du SPVM veut rencontrer une de ses sources», confie un autre observateur au sein de la police de Montréal.

La direction demeure donc prudente. Elle ne veut pas crucifier un de ses enquêteurs en raison de simples conflits personnels entre collègues.

Crédibilité attaquée

D'autant plus que certains des dénonciateurs ont eux-mêmes vu leur crédibilité attaquée ces derniers temps.

Deux d'entre eux, l'inspecteur Jimmy Cacchione et l'inspecteur-chef Giovanni Di Feo, ont été suspendus en juin dernier. On leur reproche des contacts préoccupants avec des «personnes d'intérêt» de mauvaise réputation, ainsi qu'un manque de loyauté envers leur chef Marc Parent.

Deux autres ont fait l'objet de rapports accablants rédigés par l'enquêteur en question, qui les accusait, là encore, de liens inappropriés avec le crime organisé.

L'un de ces policiers est Mario Lambert. Après avoir été dénoncé par le sergent-détective en 2009, il a vu sa carrière détruite. Il a été impossible d'obtenir ses commentaires pour ce reportage, mais plusieurs sources ont relaté son histoire.

Lambert, un enquêteur à la longue feuille de route au SPVM, était à l'époque sur la piste de Bashir Ayad, acteur important du crime organisé libanais à Montréal et présumé membre du Hezbollah. La GRC collaborait à son enquête pour le volet lié au terrorisme.

Officiellement vendeur de voitures usagées, Bashir Ayad était fiché comme un trafiquant de drogue au casier bien garni. Son groupe envoyait aussi des armes et des voitures volées par conteneurs vers le Moyen-Orient.

La police craignait que le quadragénaire ne tente d'acquérir au Canada des composés chimiques destinés à la confection de «bombes sales» pour le Hezbollah.

Lambert l'ignorait, mais Bashir Ayad était aussi un informateur de police contrôlé par le sergent-détective qui fait maintenant l'objet d'une enquête, comme l'ont confirmé plusieurs sources à La Presse.

En avril 2009, Lambert commence à soupçonner que son enquête est sabotée par des fuites au sein du SPVM. Il est convaincu que l'enquêteur a prévenu Ayad de l'existence d'une enquête pour lui éviter une arrestation. Il dénonce donc son collègue à la GRC.

Quelques mois plus tard, en juillet 2009, Bashir Ayad est tué de plusieurs projectiles devant sa résidence de Laval. Lambert continue de s'intéresser à son groupe et ses contacts.

Mais il ne peut pousser plus loin son enquête. En septembre 2009, Lambert est lui-même arrêté par la division des affaires internes du SPVM. L'un de ceux qui l'ont dénoncé n'est nul autre que le sergent-détective. On l'accuse d'avoir cherché des numéros de plaques d'immatriculation dans l'ordinateur de la police et vérifié l'identité d'au moins un propriétaire de voiture à la demande de l'un de ses contacts proches du crime organisé libanais. La preuve démontre qu'il n'a jamais reçu un sou pour ce geste.

Le témoignage de la superstar du SPVM, appuyé par ses informateurs du milieu criminel, est dévastateur pour Lambert, qui est finalement congédié et condamné au criminel pour ses gestes.

Lambert a toujours soutenu qu'il a été piégé par un confrère qu'il venait de dénoncer à la GRC. Il en appelle actuellement de sa condamnation devant la Cour d'appel.

Nouveau témoin

Or, La Presse a appris de sources fiables qu'un nouveau témoin s'est manifesté au cours des derniers mois pour appuyer la version du «piège» tendu à Lambert. Les enquêteurs des affaires internes sont au courant. Ils tenteraient présentement d'évaluer la fiabilité de ce témoin, selon nos informations.

Ils doivent aussi passer au crible les finances et l'emploi du temps de l'enquêteur, qui est impliqué dans deux entreprises en parallèle de son travail de policier. Mais les enquêteurs se heurtent à un obstacle de taille: une grande partie de ses activités sont concentrées au Venezuela, un pays où ils ont du mal à obtenir des renseignements fiables.

«Les gars de Montréal ne peuvent pas du tout se fier aux autorités là-bas», a expliqué une source à La Presse.

L'une de ces entreprises offre des services de location de téléphones en Amérique du Sud et au Québec. L'autre est une entreprise de construction active au Québec et au Venezuela dans des projets de développement résidentiels.

- Avec la collaboration de David Santerre

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Pour joindre Vincent Larouche en toute confidentialité à ce sujet: 514 285-7000, poste 4822.