Conclusion stupéfiante: deux hauts dirigeants de la Sûreté du Québec (SQ) et deux cadres supérieurs à la retraite sont finalement accusés d'abus de confiance, de fraude et de vol de plus de 5000$, pour avoir permis l'utilisation, à d'autres fins, d'un fonds secret destiné à favoriser les enquêtes policières.

Selon les sources de La Presse, l'ancien directeur général de la Sûreté du Québec, Richard Deschesnes, son adjoint aux enquêtes criminelles, Jean Audette, et deux autres anciens cadres supérieurs, Steven Chabot et Alfred Tremblay, tous deux retraités, se verront signifier mardi les accusations de nature criminelle portées à leur endroit.

Les sommations seront rendues publiques mardi, au palais de justice. Tous doivent se prêter mercredi à une identification dans un poste de police pour une comparution au palais de justice le 13 février.

Passibles de cinq ans de prison

Tous doivent faire face à des accusations en vertu des articles 122, 321 et 324 du Code criminel, pour abus de confiance, fraude et vol d'une somme de plus de 5000$, des gestes passibles d'une incarcération d'au plus cinq ans. Joint lundi par La Presse, Steven Chabot a confirmé que les accusations ont été portées: «Vous comprendrez que je n'ai aucun commentaire à faire maintenant qu'il y a des accusations criminelles. Ce que j'ai à dire, je le dirai devant le tribunal.»

MM. Deschesnes et Audette étaient suspendus avec solde depuis la fin de 2012. Le progrès de ce dossier était, a-t-on appris, suivi de près par le directeur de la SQ, Mario Laprise; c'est une vérification qu'il avait enclenchée qui avait dévoilé le pot aux roses. M. Laprise, ancien cadre supérieur de la SQ devenu responsable de la sécurité à Hydro-Québec, avait remplacé M. Deschesnes à la tête de la SQ en octobre 2012, tout de suite après l'arrivée du Parti québécois au pouvoir. M. Deschesnes avait été nommé par Jacques Dupuis en 2008.

Alfred Tremblay, retraité, était pendant des années «inspecteur aux renseignements de sécurité», un poste névralgique. Comme M. Chabot, il aurait bénéficié d'une indemnité de départ, que l'on croit venir de ce fonds d'opération de la SQ. M. Tremblay était à couteaux tirés avec Normand Proulx, qui aurait ainsi voulu faciliter son départ, explique-t-on.

Comité d'enquête spécial

Toute cette affaire avait commencé à la fin de 2012. Le ministre responsable de la Sécurité publique Stéphane Bergeron avait annoncé qu'un comité d'enquête spécial avait été formé pour établir si les policiers avaient transgressé la loi dans l'utilisation du fonds d'opération de la SQ, une enveloppe d'environ 25 millions par année, devant servir à épingler les trafiquants de stupéfiants et à payer des informateurs.

Le fonds aurait servi par exemple à donner une indemnité de départ à MM. Chabot et Tremblay, ce qui n'est pas permis dans les règles de la Sûreté du Québec.

«Les faits allégués sont extrêmement troublants. Je suis conscient de la commotion que provoque la situation actuelle. Les dispositions prises démontrent que personne n'est au-dessus des lois», avait soutenu M. Bergeron à la fin de 2012, en déclenchant l'opération. Il précisait dès lors que l'enquête portait sur de possibles «abus de confiance» de la part de dirigeants de la SQ.

L'abus de confiance est prévu à l'article 112 du code, qui stipule qu'est «coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans tout fonctionnaire qui, relativement aux fonctions de sa charge, commet une fraude ou un abus de confiance».

Étant donné la gravité des accusations, le ministre Bergeron avait ordonné la constitution d'une équipe spéciale d'enquête, qui ne pouvait être confiée à un corps policier en service.

Le groupe, formé par le sous-ministre Martin Prudhomme, avait été placé sous la responsabilité d'un retraité de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). On avait regroupé d'anciens policiers fédéraux et des retraités du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). À la différence des autres opérations, des procureurs de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) avaient suivi le travail des enquêteurs quotidiennement. Une fois l'enquête terminée, à la fin de l'an dernier, les accusations paraissaient déjà probables, puisque l'enquête avait été menée à la satisfaction de la Couronne.

Dans les enquêtes ordinaires, le DPCP reçoit ultimement le dossier préparé par les policiers enquêteurs et peut juger s'il manque de corroboration. La présence des procureurs durant tout le cheminement de cette enquête rendait peu probable que le DPCP juge finalement le dossier bancal.

Juste avant que les faits soient prescrits, M. Chabot avait déposé une poursuite en diffamation à l'endroit du successeur de M. Deschesnes, Mario Laprise, accusant le nouveau patron de la SQ d'avoir laissé filtrer l'affaire dans les médias. Dans la requête, le ministre Stéphane Bergeron et le sous-ministre Martin Prudhomme sont aussi visés. Il exigeait 1,5 million pour atteinte à sa réputation.

Dans cette affaire, des accusations ont déjà été portées à l'endroit de Denis Despelteau, négociateur contractuel de la SQ. Régis Falardeau, un autre responsable de l'administration à la SQ à l'époque, a été suspendu de ses fonctions de responsable de la sécurité à Loto-Québec pour le temps de l'enquête, mais il n'est pas visé par la série d'accusations signifiées lundi.

Le fonds en cause

Toutes ces allégations portaient sur l'utilisation illégale d'un fonds d'environ 26 millions versé chaque année par le gouvernement à la SQ, pour permettre d'appréhender des trafiquants de drogue ou pour payer des délateurs. En dérogation des règles très claires, la direction de la SQ aurait puisé dans cette cagnotte pour donner une indemnité de départ à M. Chabot.

Dans sa requête de 32 pages déposée en Cour supérieure, M. Chabot soutenait qu'il avait le droit de recevoir cette indemnité de 170 000$, compensation qu'on lui avait promise pour qu'il ne quitte pas la SQ en 2008 alors qu'un emploi plus intéressant lui avait été offert.

Les dirigeants de la SQ auraient aussi rétribué le négociateur Despelteau à même cette cagnotte occulte. Tous ces transferts de fonds illicites intéressent également Revenu Québec.

- Avec la collaboration de Vincent Larouche