Gangs de rue: lutte fratricide chez les Rouges

Meurtre, blessure par balle, coups de feu tirés sur un immeuble: le plus important gang de rue de la métropole est en proie à un violent conflit intergénérationnel qui fait craindre le pire aux policiers, a appris La Presse.

Tout découlerait de l'association des principaux chefs de gangs de rue sous la direction de l'ancien soldat des Hells Angels Gregory Wolley, maintenant dans l'organigramme du parrain de la mafia montréalaise Vito Rizzuto, et de l'assassinat, en août 2012, du chef des Rouges, Chénier Dupuy, qui avait refusé de se joindre à cette alliance.

«Les membres des Rouges plus âgés bénéficient de cette association avec la mafia, mais il ne reste que des miettes pour les plus jeunes. Ils ont faim», explique une source qui connaît bien le milieu des gangs de rue.

Cette lutte fratricide, qui divise les jeunes Rouges et leurs frères aînés (en général ceux qui ont 35 ans et plus) depuis le milieu de l'été, a été révélée en partie par un policier du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) venu témoigner cette semaine à l'enquête sur remise en liberté d'un individu déjà considéré comme l'un des principaux lieutenants de Dupuy.

L'accusé en question, James Johnson Blot, a été arrêté pour non-respect de conditions le 17 novembre dernier près d'un bar de Laval où une fusillade venait d'éclater, faisant un blessé. La victime, qui a reçu une balle dans une jambe, est un membre de Zone 43, un nouveau gang de rue composé de jeunes, dont le nom proviendrait d'un circuit d'autobus qui dessert le nord-ouest de l'arrondissement de Montréal-Nord.

«Au début du mois de septembre, à la prison Rivière-des-Prairies, un des vétérans des Rouges, Jean-Romel Victor, a été tué par des individus qui étaient dans la même aile cellulaire que lui. Ces individus sont reliés aux Zone 43 et soupçonnés d'avoir tué M. Victor. Depuis ce temps-là, selon nos informateurs et ce que nos enquêtes démontrent, il y a un confit de générations entre les gens des Zone 43 et les vétérans. L'événement au bar de Laval est attribuable à ça», a raconté le sergent-détective Érick Lacoursière.

Le lendemain du meurtre, des coups de feu ont été tirés sur un immeuble de Montréal-Nord où habite le parent d'un membre des Zone 43 soupçonné d'avoir été impliqué dans l'assassinat de Jean-Romel Victor.

Sang, musique et vêtements griffés

Jean-Romel Victor était vice-président des Productions MFG, une agence de spectacles et d'artistes enregistrée au Registraire des entreprises. En cour, le policier Lacoursière a indiqué que les lettres MFG signifient Money First Gangsters et que cette «clique d'allégeance rouge est composée de rappeurs qui font de la musique depuis la fin des années 2000 et publient des vidéos sur YouTube et internet».

Selon nos informations, c'est parce qu'ils s'habillaient avec des vêtements des créateurs français Marithé et François Girbaud que les membres de ce groupe auraient commencé à utiliser les lettres MFG.

Plusieurs autres individus liés aux Rouges sont également actionnaires des Productions MFG, dont James Johnson Blot et Edrick Antoine - ce dernier étant soupçonné d'être l'un des meurtriers de Gaétan Gosselin, l'homme de confiance du caïd Raynald Desjardins tué en janvier dernier. «À l'heure actuelle, le conflit au sein des Rouges est relativement limité, mais ça ne pourra pas durer», conclut l'une de nos sources.

Avec la collaboration de Vincent Larouche

Guerre intestine

7 septembre: Jean-Romel Victor est battu à mort par sept ou huit codétenus liés aux Zone 43 à la prison de Rivière-des-Prairies.

8 septembre: En guise de représailles, des coups de feu sont tirés sur un immeuble de la rue Jubinville, près de Maurice-Duplessis.

17 novembre: Un membre des Zone 43 est atteint d'une balle à la jambe dans un nouveau bar de l'autoroute 440 à Laval, lors du spectacle d'un musicien jamaïcain auquel assistent des membres des MFG.

Jean-Romel Victor

Assassiné le 7 septembre dernier à l'âge de 35 ans

Antécédents de trafic de marijuana et de cocaïne. Selon nos sources, il serait le frère de l'ancien propriétaire du Buffet Cristina, Déjean Victor. En décembre 2009, ce dernier a été arrêté pour trafic de cocaïne en Haïti. Il se serait évadé lorsque le tremblement de terre de janvier 2010 a détruit le pénitencier de Port-au-Prince et serait revenu à Montréal clandestinement, sur un vol humanitaire.

James Johnson Blot

35 ans

En août dernier, il a été appréhendé pour trafic de crack. Durant la filature, les policiers l'ont vu en compagnie d'un individu lié à la mafia italienne. Sur lui et dans son véhicule, les policiers ont trouvé 40 000$.

En 2002, Blot a été arrêté en compagnie de Chénier Dupuy dans une opération baptisée Journal, par laquelle les policiers de Montréal ont démantelé un gang qui ciblait des citoyens vendant leur arme par l'entremise de petites annonces, leur donnait rendez-vous, les volait et utilisait l'arme pour commettre des délits.

Edrick Antoine

35 ans

Actuellement détenu et accusé du meurtre de Gaétan Gosselin. En octobre 1999, il a été arrêté pour une affaire de trafic de cocaïne en compagnie de deux Rouges influents, Chénier Dupuy et Ézékiel Monuma.

Chénier Dupuy

Chef des Bo Gars (Rouges)

Tué devant un restaurant des Galeries d'Anjou en août 2012 à l'âge de 36 ans.

Peu de temps avant sa mort, il avait pris part à une réunion des chefs de gangs à Sainte-Adèle et avait refusé de se joindre à une alliance parrainée par Gregory Woolley.