Les interventions policières liées à la prostitution ont chuté de façon spectaculaire au cours des dernières années à Montréal, selon un rapport inédit obtenu par La Presse.

Cela ne signifie pas que l'industrie du sexe soit en déclin, mais plutôt qu'elle revêt de nouveaux visages - et, surtout, que la police a décidé de s'y attaquer autrement.

Depuis 2004, les interventions des agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) liées à la sollicitation ont dégringolé de 91% dans le sud et dans l'est, les deux secteurs les plus touchés par la prostitution de rue.

Quant aux interventions liées au proxénétisme, elles ont chuté de 63% depuis 2006, selon un rapport préliminaire destiné à guider les orientations du SPVM en matière de prostitution et de traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle.

En supposant que l'offre des services sexuels soit demeurée stable, «il est possible d'en conclure que les risques d'arrestations ont diminué de manière significative depuis le milieu des années 2000», note le rapport.

Cette baisse marquée s'explique en partie par l'évolution de l'industrie du sexe à Montréal. La prostitution de rue s'efface au profit des salons de massage et des agences d'escortes. Désormais, la sollicitation se fait discrètement, sans déranger personne, sur l'internet.

Un changement d'attitude

Au-delà de cette mutation, les policiers ont changé d'attitude envers les travailleuses du sexe - surtout depuis l'affaire Robert Pickton, ce tueur en série qui ciblait des prostituées de Vancouver, constate Émilie Laliberté, directrice générale de l'organisme Stella.

Elle regrette toutefois qu'à l'approche d'un jugement de la Cour suprême qui pourrait décriminaliser la prostitution au pays, plusieurs opposants tentent d'entretenir la confusion entre prostitution et exploitation sexuelle.

«L'industrie du sexe est massive; il y a plus de 200 salons de massage à Montréal, convient-elle. Mais on tente de semer le doute. Oui, il y a des milliers de personnes qui travaillent dans cette industrie, mais il n'y a pas des milliers de personnes trafiquées!»

Une adolescente de 15 ans forcée de se prostituer au profit d'un gang de rue n'a rien à voir avec une femme qui décide d'offrir ses services sexuels contre rémunération, ajoute Mme Laliberté. «Tant que l'on continuera à maintenir cette confusion, on ne pourra pas faire d'interventions ciblées pour lutter efficacement contre l'exploitation.»

Le SPVM semble décidé à faire la part des choses.

Confronté à un nombre croissant de dossiers de traite de personnes, il songe à mettre sur pied, dès l'an prochain, des équipes d'enquête dédiées à la lutte contre l'exploitation sexuelle dans ses quatre centres opérationnels, a appris La Presse.

«Il faut revoir notre façon d'envisager la prostitution, admet l'inspectrice-chef Johanne Paquin, responsable du dossier de la prostitution au SPVM. Pour nous, la traite est un phénomène assez récent. Il commence à y avoir des cas devant les tribunaux. On voit que ça existe. En tant que service de police, on ne peut pas se fermer les yeux.»

Le héros de l'Ouest

Les quatre équipes d'enquête seraient calquées sur celle que Dominic Monchamp a mise sur pied, de façon informelle, au Centre opérationnel Ouest.

Ce sergent-détective est un héros dans le petit monde de la lutte contre la traite de personnes au Québec.

Depuis plus de 10 ans, il s'est donné pour mission de tirer les femmes de l'emprise de proxénètes manipulateurs et ultraviolents.

Il s'est taillé une telle réputation dans le milieu que les victimes - généralement très méfiantes envers les policiers - se sont mises à cogner à sa porte.

«Son équipe ne fournit pas, dit Annie Robert, coordonnatrice à la sensibilisation sur la traite de personnes à la Gendarmerie royale du Canada (GRC). Les dossiers rentrent, rentrent, rentrent, et ils ne font même pas d'enquêtes proactives, parce qu'ils n'ont pas les ressources, ni le mandat spécifique d'enquêter sur la traite de personnes.»

Cela pourrait bientôt changer.

Nouveau visage de la prostitution à Montréal

Salons de massage

L'industrie du sexe évolue à Montréal. Les salons de massage sont considérés comme un problème dans les deux tiers du territoire, selon un sondage mené auprès des commandants des 33 postes de quartier.

>Salons de massage douteux: 22 postes de quartier (67%)

>Prostitution de rue: 13 postes de quartier (39%)

>Recrutement et exploitation de jeunes filles par les gangs de rue:13 postes de quartier (39%)

>Bars de danseuses: 9 postes de quartier (37%)

>Hôtels/motels de "passes": 7 postes de quartier (21%)

Hausse de l'activité

>11 postes de quartier (33%) ont observé une augmentation du nombre de salons de massage douteux ou une présence accrue d'activités de proxénétisme et de recrutement des jeunes filles aux fins d'exploitation sexuelle.

>8 postes de quartier (24%) ont observé une stabilité ou une diminution de la prostitution de rue.

>19 postes de quartier (58%) n'ont pas observé de changements dans leur secteur au cours des dernières années.

Moins d'interventions

Sollicitation

Baisse de 91% des interventions du SPVM liées à la sollicitation dans les régions Sud et Est depuis la pointe de 2004.

>2004: 1388 interventions

>2012: 122 interventions

>Dans les régions Nord et Ouest, le nombre d'interventions est demeuré faible et stable.

Proxénétisme

Baisse de 63% des interventions liées au proxénétisme depuis la pointe de 2006.

>2006: 133 événements

>2012: 49 événements

Le nombre d'infractions liées au proxénétisme est à son plus bas en 2012, et ce, depuis 2001.

Prostitution de rue

Le SPVM a reçu 486 plaintes liées à la prostitution de rue en mars, juillet et novembre 2012. L'analyse des appels faits au 911 permet de constater que les postes de quartier les plus touchés sont :

>34% Hochelaga-Maisonneuve

>18% Ahuntsic

>8% Saint-Paul, Petite- Bourgogne, Pointe-Saint-Charles, Saint-Henri, Ville-Émard

>7% Centre-Sud

Proxénètes violents

À Montréal, 524 hommes ont été accusés ou soupçonnés de proxénétisme entre 1993 et 2010.

Parmi eux, 55% ont des antécédents de violence connus des policiers. Ces 289 proxénètes ont commis 1298 agressions sur des personnes, en majorité des femmes.

Une petite minorité est hyper- violente. Ainsi, 3% des proxénètes sont responsables de 25% des agressions.

Plus de la moitié des agressions (54%) apparaissent sous l'étiquette des violences conjugales.

Source: Rapport préliminaire sur les orientations du SPVM en lien avec l'exploitation sexuelle et la prostitution,

mai 2013